Des perspectives très inquiétantes pour les finances publiques. Voilà ce qui dit en substance la Cour des comptes. Au-delà des derniers épisodes de tensions à Longoni, le JDM fait un focus sur le chapitre du rapport de la Cour consacré à la situation du port.
Le port de Longoni est «un risque» affirme la Cour des comptes. Certes, l’équipement constitue une «opportunité de développement» pour Mayotte et ces opportunités, si on en croit le fameux rapport, ne sont pas si nombreuses. Pour autant, la Cour invite à faire preuve de «discernement» car si ce «risque» pèse sur une société privée, Mayotte Channel Gateway (MCG), il représente aussi une menace importante pour le budget du département.
Depuis le 1er novembre 2013, le Département a choisi d’attribuer la gestion du port à la société dirigée par Ida Nel, Mayotte Channel Gateway (MCG), sous la forme d’une délégation de service public (DSP) d’une durée de 15 ans. Sur le papier, le projet a de l’allure, proposant «d’ériger en moins de cinq ans le port de Longoni en ‘hub européen de référence dans le canal du Mozambique’».
L’idée évidente est de tirer profit du positionnement du port de Mayotte dans le canal du Mozambique, en particulier face à celui de Pemba dont les infrastructures sont au bord de la saturation malgré des perspectives de croissance du trafic maritime lié aux hydrocarbures mozambicains.
Des investissements «massifs»
Le projet porté par Ida Nel consistait à doubler l’activité de transbordement en cinq ans en attirant des bateaux dits «motherships» («bateaux-mères») qui viennent décharger leurs containers pour passer le relais à des bateaux plus petits, les «feeders», qui desservent ensuite les ports de la région.
Au-delà du transbordement, MCG vise un doublement de l’activité globale du port en 10 ans, en faisant passer le trafic de 60.000 à 100.000 containers par an, grâce au triplement des capacités de débarquement… C’est à ce moment qu’interviennent les fameux investissements dans les grues et les portiques.
MCG évoque un plan d’investissement «massif» de l’ordre de 150 millions d’euros répartis sur le développement de l’activité économique (terminaux de containers) pour 64 M€, sur les infrastructures industrialo-portuaires (création d’une zone économique et réalisation d’une gare maritime et routière) pour 37 M€ et sur la création d’une plateforme d’accueil de navires de croisière et de transport de passagers pour 23 M€.
La question de la durée de l’amortissement comptable
Enfin, MCG devrait mettre 1,4 M€ sur la table pour réaliser des bâtiments «accueillant les autorités régaliennes (capitainerie, police, douanes, pompiers, remorquage, pilotage)».
Un dernier volet plus vague financièrement concerne un éventuel développement du port de pêche, de l’aquaculture et de la réparation navale.
Une fois tous ces chiffres posés la Cour passe aux mises en garde : «Il est difficile à ce stade d’évaluer la pertinence économique de ce projet dont les initiateurs estiment qu’il pourrait générer la création de 3.500 emplois et contribuer au décollage économique de toute l’île», indique le rapport.
Car si ces investissements faramineux doivent être réalisés pour les deux tiers (près de 100 millions d’euros) avant fin 2018, durant les 5 premières années de la DSP, leur durée d’amortissement est bien plus longue. MCG va continuer à déduire de son activité comptable une partie des sommes investies pendant encore de nombreuses années… Problème : la DSP est prévue pour 15 ans au minimum, un délai insuffisant pour amortir ces équipements.
Les scénarios du «pire»
Résultat, ces biens «indispensables à l’exécution du service public» portuaire, pourrait coûter fort cher au conseil départemental. Le rapport de la Cour des compte relève que le Département «devra être en mesure de verser une indemnité compensatrice de l’ordre de 50 à 60 M€ au délégataire à la fin de la convention.»
Mais ce n’est pas le scénario le plus sombre : «Au pire», note la Cour, «si l’ambitieux projet ne devient pas rentable et que la société se voit contrainte à la liquidation judiciaire, le Département pourrait devoir s’acquitter d’une indemnité qui représenterait presque la totalité des investissements réalisés».
Autrement dit, si la DSP n’est pas prolongée, le Département devra payer au moins 50 M€. Et si MCG met la clé sous la porte, le CD pourrait être contraint de faire un chèque de plus de… 100 millions d’euros !
Le Département condamné au succès de MCG
Bref, les rédacteurs de la DSP ont fait en sorte que le département n’ait pas d’autre choix que de faire en sorte que la mission de la société MCG d’Ida Nel soit un succès et dure bien plus de 15 ans sous peine de faire exploser les finances du département. Dans ces conditions, on comprend pourquoi la recommandation de la Cour des comptes concernant le port est la première sur une liste de 14 faites dans le rapport.
Lors de ses vœux, le président Soibahadine Ibrahim Ramadani indiquait que «le Département veillera au strict respect du contrat de DSP et n’hésitera pas (répété 3 fois), si besoin en était, à assumer toutes ses prérogatives pour assurer le développement du port de Mayotte.» Au-delà des postures politiques, financièrement, le département a intérêt à s’y préparer.
RR
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