Au regard de la situation de l’île, le procureur ne pouvait que donner de la voix. L’aggravation de la délinquance à Mayotte se chiffre, avec le doublement des atteintes aux personnes en un an, « un phénomène qui n’est pas en voie de s’inverser », et se vit. Mal.
Si pour Joël Garrigue, le chimique est la première cause de violence des jeunes, « un best seller à Mayotte, pas cher et dont on ne connaît pas les effets sur la consommation à long terme », il pointait du doigt le phénomène des violences inter villages : « Nous avons tous vu la ‘Guerre des boutons’, mais là, un adolescent est mort parce qu’il était de Tsoundzou et pas de Doujani ! » Il reviendra plus loin sur la nécessaire implication de tous.
Des jeunes très souvent mineurs, « ils représentent un tiers de la délinquance ». Contre lesquels la justice est souvent accusée de ne pas proposer de réponses satisfaisantes, « c’est devenu un lieu commun de dire que la justice ne ferait rien ». Le procureur évoquera donc l’amélioration du nombre d’affaires élucidées sur les atteintes aux personnes, « 25% de mieux par rapport à 2014, et 60% par rapport à 2013 ».
La moitié des délinquants originaire de Mamoudzou et Koungou
De plus, davantage de mineurs sont passés devant le juge des enfants, « 31% de plus », et si 10 étaient incarcérés en moyenne en 2013, 14 en 2014, « nous commençons l’année 2015 avec 20 ! ». Ils sont 600 à être suivis par la Protection judiciaire de la Jeunesse. « La moitié sont originaires de Mamoudzou et de Koungou, monsieur le maire », adressait Joël Garrigue au maire de Mamoudzou.
Rares, hélas, sont les secteurs à Mayotte à connaître la croissance d’activité du TGI : « 15 %, mais nous ne pourrons pas longtemps continuer à ce rythme avec un effectif réel de 12 magistrats sur 15 nécessaires, et de 35 fonctionnaires au lieu de 47. C’est un exercice de voltige plus qu’une sinécure. »
C’est donc une longue liste de déficiences en moyens humains que dressera le procureur : « deux cabinets d’instruction, dont l’un gère 50 détenus provisoires contre 30 en métropole », « un déficit en force de gendarmerie surtout d’investigation, mais aussi en sûreté urbaine avec la moitié de la délinquance située en zone police », « une implantation indispensable de sûreté départementale pour démanteler la délinquance organisée », « une police judiciaire »…
Parents, conseil départemental, maires… au banc des accusés
Le réquisitoire met habituellement les accusés devant leurs responsabilités. Les parents d’abord, « arrêtez de parler d’’enfants du juge’, aucun parent ne me demande mon avis avant d’enfanter, il vaut mieux d’ailleurs ! ». Le conseil départemental ensuite, « qui a oublié de venir aujourd’hui, alors que ses enfants sont vraiment en danger », la préfecture aussi, « le manque de structures éducatives est l’affaire de l’Etat. »
Joël Garrigue venait en soutien de Tama, sans le nommer, « seul établissement de placement éducatif de l’île, qui a connu des problèmes dû à un mineur, incarcéré depuis, mais qui est aussi rejeté par la population. » Population qui s’en était prise à un éducateur, et capable de demander ensuite davantage de moyens de prise en charge de ces jeunes…
Les maires n’allaient pas s’en tirer à si bon compte et font l’objet d’un long chapitre de récriminations : « alors que nous magistrats, gendarmes ou policiers dégageons du temps pour nous rendre dans les conseils de prévention de la délinquance de leur commune, certains ne daignent même pas nous y rejoindre. Beaucoup ont signé à mes côtés des rappels à l’ordre, bien peu les utilisent. » Le procureur annonçait ne continuer à travailler qu’avec les plus volontaires.
Occuper la rue face aux délinquants
Un message d’encouragement sera adressé aux associations de jeunes, « notamment de Kawéni », ou au COSEM pour les voisins vigilants, « qui contribuent tous à faire en sorte que la rue n’appartiennent pas aux délinquants. »
Joël Garrigue recommandait de travailler « autant sur la prévention que sur la répression sinon, l’année prochaine, les chiffres ne seront pas catastrophiques, ni ‘calamiteux’ comme l’a qualifié le procureur général, mais cataclysmiques ».
C’est sur la situation générale des parquets « qui grincent au niveau national » comme il aime à le qualifier, mais qui aura des répercussions en local, qu’il concluait : « La France est le 2ème pays d’Europe le moins bien doté en parquetier. Il en faudrait 7 au regard de la population, et non 5 à Mayotte. » La suspension de l’évolution du statut du parquet vers une indépendance politique, la crise des moyens, la crise des vocations qui en découle… « Tout cela a abouti à la décision de la conférence des procureurs de la République de suspendre nos réunions administratives, hormis les Etats majors de sécurité, ou les CLSPD dans les seules communes impliquées. »
Une déficience de moyens appuyée par Laurent Sabatier, le président du TGI qui, après avoir évoqué l’indépendance « statutaire du juge », et son « impartialité issue d’une démarche personnelle », évoquait des juridictions insuffisamment dotées, mais soulignait un paradoxe : celui d’une île « qui souffre d’un manque d’attractivité, alors que nos trois jeunes collègues issues de l’Ecole nationale de la magistrature sont heureuses de travailler ici ! » Qu’on se le dise…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte