On l’aura compris à la lecture du titre, il s’agit avant tout d’une pièce sur une crise identitaire, celle de Mayotte, à la croisée de trois chemins. Celui de son appartenance à l’archipel des Comores, celui de son rattachement à la France, et celui de sa propre histoire.
Assise entre trois chaises, cette inconfortable situation provoque chez le héros de Nassuf Djaïlani, « Ces excroissances mal ajustées qui provoquent des embrouillaminis dans ma tête. » Mise en scène par El Madjid Saïndou, la pièce dévoile ces juxtapositions de cultures qui provoquent des conflits générationnels et des reproches de la jeune génération : « A 18 ans, on m’a demandé de m’asseoir sur ce lit et que les mains de l’homme glisse entre mes cuisses », se plaint une jeune femme, tandis que les défenseurs des traditions se voilent la face, « l’homme a désappris la sensibilité », déplore-telle.
La fête, la musique, la danse, c’est à la fois l’exutoire et les œillères dont se dote le peuple qui en oublie de poser des réflexions sur son avenir, engendrant la colère lorsqu’il en prend conscience « Je rêve d’un fils libéré de ses doutes, débarrassé de ses angoisses », soliloque la mère, qui pourrait être Mayotte.
« L’homme a échoué devant l’amour »
Cette « défaite de la pensée » qui n’a pas été posée à temps contre « ceux qui sont venus pour avilir et posséder », et pour cause, « notre recours au doute nous a éloignés face à la détermination des plus résolus. »
Le poète se moque gentiment de la devise Ra Hachiri » de Mayotte, « ‘Restons vigilants’ car nous ne sommes sûrs de rien », alors que « le bonheur en bleu-blanc-rouge peut générer des situations confortables. »
La phrase qui clôt cette demi-heure d’extraits de la pièce en cours d’écriture, « L’homme a échoué devant l’amour et j’ai honte », résume ce que les habitants de l’île ont perdu pour gagner en confort matériel.
30 représentations au off d’Avignon
Ce travail n’est pas seulement l’aboutissement de la rencontre de l’écrivain Nassuf Djaïlani et de deux anthropologues, c’est aussi l’association d’Ari Art avec la compagnie de théâtre strasbourgeoise L’Aurtiste qui s’investit dans le projet.
Le résultat de deux semaines de résidence d’acteurs est suffisamment encourageant pour qu’en amont, le directeur du festival off d’Avignon, Greg Germain, retienne la pièce pour 30 représentations à Avignon en août.
La troupe formée par la belle Dalfine Ahamadi qui joue plusieurs rôles, « mais c’est celui de la maman que je préfère », par le pitre Soumette Ahmed qui jouera le mois prochain sa pièce « Je n’ai pas de nom » au MASA d’Abidjan, par Madi Djibaba, Justin Dâwa Litaaba-Kagnita et Bob Kira, se rendra en résidence en juin à Strasbourg, avant de jouer en Avignon, à la Chapelle du Verbe Incarné du 7 au 30 juillet 2016.
La culture mahoraise s’exporte enfin.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte