La Journée d’alerte à l’explosion sociale n’a pas fait salle comble au conseil départemental, surtout chez les élus. Pas de parlementaires ni de maires, ni de conseillers départementaux, en dehors du vice président en charge du social, Issa Issa Abdou.
Un thème qui aurait du les mobiliser pourtant, tout comme une population qui descend régulièrement dans la rue pour dénoncer l’insécurité. « Tous étaient pourtant largement avertis », indique El Mamouni Mohamed Nassur, porte-parole du Grand Cadi, organisateur de la journée, qui regrettait notamment l’absence du président de l’association des maires Saïd Omar Oili.
C’est pourtant une des seules fois où la problématique de l’insécurité est abordée sous l’impulsion d’une des composantes de la société mahoraises, en l’occurrence les cadis, en partenariat avec le COSEM (Conseil de Quartier pour la Sécurité de Mayotte). L’Etat avait massivement répondu présent en tout cas, avec la présence du préfet Seymour Morsy et de sa directrice de cabinet Florence Ghilbert-Bézard, du procureur Joël Garrigue, du directeur de cabinet de la vice-recteur, Stéphane Planchand, le colonel de gendarmerie Jean Gouvart, et la Police nationale.
Triple incompréhension
Le sujet de la délinquance est caractérisé à Mayotte par deux pôles totalement opposés : un déficit de parentalité d’un côté et une incompréhension des lois appliquées dans le cadre de la départementalisation de l’autre.
Si le vice-président du conseil départemental évoquait des jeunes qui « inquiètent, voire dérangent », il souligne la part de responsabilité des adultes. Si ce sont avant tout les parents pour le préfet Seymour Morsy, qui rappelait que « c’est à eux de s’assurer que le cartable de leur enfant ne contienne que ce qui est utile à leur éducation », pour Elad Chakrina, représentant du COSEM, c’est une histoire de législateur qui a introduit une triple incompréhension en appliquant la loi à une société à la fois musulmane, matriarcale et ou existent beaucoup de tabous.
Le sujet n’était donc pas de savoir si les parents sont fautifs sur une déficiente autorité sur leurs enfants, mais plutôt de savoir pourquoi. Les débats ayant été très riches, nous évoquerons l’état des lieux social présenté par les intervenants, pour revenir sur les conclusions à tirer de cette matinée dans un second article.
La « dictature de l’acné »
On sentait un préfet en fin de mandat, lassé des défections de réponses, en particulier des élus, « tous ne viennent pas aux CLSPD », ou des parents sur la surveillance de leurs enfants, et rappelait qu’il ne pouvait pas mettre un gendarme ou un policier derrière chaque réverbère, sinon « ils ne se consacrent pas à toutes leurs autres missions. Il appelait à arrêter de bloquer les écoles, ce qui « revient à laisser les enfants dehors », en rappelant que la scolarité ce n’est pas qu’une question d’argent, « mais aussi d’envie ».
Le directeur de cabinet de la vice-recteur ne pouvait qu’abonder, en expliquant que « dans la sous-région, nous sommes le seul endroit où l’école fonctionne », et en rappelant son expérience de principal de collège de Koungou dans les années 2000 : « Les parents parlaient déjà d’« enfants du juge », pour évoquer leurs craintes d’aller en prison s’ils corrigeaient leurs enfants. Et, comme en métropole, demandent à l’école de se charger d’une partie de l’éducation. « Mais pour nous, c’est un élève, quand pour les parents il s’agit de leur enfant, les regards doivent être convergents, sinon le jeune va se glisser dans les failles. »
Le représentant de l’Education nationale rappelait quelques règles : « L’empathie d’un élève pour un autre, l’acceptation des règles communes, l’apprentissage de l’assiduité et de la persévérance. Les droits et les devoirs sont les 2 faces d’une même pièce : le droit sans devoir c’est un privilège, et le devoir sans droit, le totalitarisme. » Il mettait enfin en garde contre « la ‘dictature de l’acné’ qui prend naissance dans la peur de corriger son enfant mais aussi de n’être pas aimé par lui. « Il faut restaurer l’autorité avec bienveillance, pour en faire des êtres capables de réflexion, armé contre la facilité de pensée qui conduit à la violence », concluait-il.
« Qui a mal expliqué la loi et qui l’a mal comprise ? »
Sur le constat d’une délinquance en aggravation, le procureur rappelait les chiffres, « les violences ont augmenté de 45% depuis 2014 », et dénonçait le manque de moyens liés à l’insuffisance de plaintes. Ce qui sous-entend que les 270 gendarmes présents sur le territoire, annoncés par la sous-préfète, ainsi que les 220 policiers, les 240 policiers aux frontières, et 80 policiers municipaux, ne suffisent pas. « nous attendons beaucoup de la mission sur la sécurité qui vient de quitter Mayotte », soulignaient le procureur.
Si les chiffres témoignent d’un état des lieux grave, « et parfois désespérant, il n’est pour autant pas désespéré », pour Joël Garrigue. Il évoque néanmoins un glissement de la violence vers l’autorité, « qu’on ne connaissait pas avant à Mayotte, contre l’enseignant, le chauffeur de bus ou le policier », et accuse encore une fois le chimique, cette drogue de synthèse, mais aussi les violences inter villages à la vengeance sans fin, et se lance dans une réponse aux « enfants du juge ».
En commençant par comparer la délinquance à de la fièvre, « que viendrait momentanément soulager une aspirine que serait la justice, mais sans s’attaquer aux causes, la fièvre revient. » C’est donc un problème de société, soulignait-il, en interpellant, « je ne sais pas qui a mal expliqué la loi, et qui l’a mal comprise, mais des claques et des fessées j’en ai reçues, et je n’ai jamais vu en deux ans et demi de procès de parents pour une claque à Mayotte. Par contre, un bras cassé, ça n’est pas de l’éducation mais de la violence gratuite ! » Il rappelait que les enfants en souffrance relèvent du domaine l’action sociale du département, « ce sont donc les enfants du président du conseil départemental ! », inversait-il.
« En métropole, les parents sont perdus »
Comme le sujet de la matinée tournait malgré tout autour de la place des cadis, le procureur rappelait que la départementalisation avait bouleversé la donne, « mais ne leur a pas enlevé toute autorité. La société mahoraise a tout pour lutter contre la délinquance, il faut en avoir la volonté, et ne pas baisser les bras. »
Elad Chakrina évoquait un titre du quotidien Le Monde, « Les jeunes tyrans » pour expliquer qu’ « en métropole les parents ne sont pas démissionnaires mais perdus. On comprend qu’à Mayotte ce ne soit pas mieux. » S’il évoquait des lois basées sur l’autorité parentales, « alors qu’ici c’est le clan qui prime », c’est surtout l’ordonnance de 1945 de protection des mineurs qui était critiquée et qui devait faire l’objet d’une proposition d’adaptation de la part des cadis, qui ont finalement fait machine arrière. L’implication pénale des mineurs n’est de toute façon pas en cause, faisait remarquer le procureur qui rappelait qu’en sortant de prison, « le jeune retrouve son quartier et ses fréquentations, le problème demeure. »
Pour Assani Zalifa, présidente d’une association de parents d’élèves, et « Mama vigilante » de Chiconi, la soufrance des enfants est l’émanation des dysfonctionnements familiaux, « séparation, nouveau conjoint, alcool, incapacité à transmettre les valeurs éducatives. Il ne faut pas culpabiliser les parents, mais évaluer leur déséquilibre familial. »
Le constat par la religion, c’est naturellement le Grand Cadi qui va le dresser : « Demain, nous serons comptable devant Allah de la façon dont nous avons géré nos enfants. Se marier en abandonnant ensuite les enfants à la maman, c’est inconcevable pour le Coran. » Il n’est peut-être pas trop tard pour que cette vision religieuse porte ses fruits, ce sera un des propositions conduisant à l’intégration des cadis sur lesquelles nous reviendrons.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte