Poroani, dans la commune de Chirongui, ce samedi soir : «une cinquantaine de personnes ont été expulsées de plusieurs sites par une centaine de villageois», témoigne la Cimade Mayotte. Même opération le dimanche. Visés, certains étrangers en situation irrégulière avaient préféré quitter les lieux d’eux-mêmes, ayant été prévenus de cette action.
Les gendarmes étaient présents, «mais ne sont pas intervenus», déplore Yohan Delhomme, représentant de la Cimade Mayotte. « Nous ne pouvions pas, c’est un terrain privé », se défend la gendarmerie qui indique avoir veillé à ce qu’il n’y ait « aucune exaction. »
Déjà au début du mois de janvier des dizaines de famille comoriennes avaient été expulsées de leurs lieux de vie par un « collectif de villageois mahorais. » Les victimes ont donc décidé de se créer eux-aussi en collectifs.
La déficience de l’Etat déstabilise
Celui des « Exilés de Tsimkoura » est présidé par Oussouf Moigni Ali : « J’ai pu déposer plainte contre les habitants qui nous ont chassé », explique-t-il en racontant l’expulsion dans un français approximatif, « les habitants ont cherché la bagarre en voulant nous faire partir. J’ai été obligé de m’enfuir avec mes 7 enfants, et j’habite maintenant chez ma famille à Chiconi. »
Oussouf Moigni Ali travaille, « je suis maçon et je veux rester en France », mais ne sait plus comment faire, « mes enfants ne peuvent plus aller à l’école primaire de Poroani, et au collège. Mais, je veux qu’ils apprennent. »
Les habitants eux, veulent adresser un signal fort à l’Etat en prouvant qu’ils ne protègent ni n’exploitent les étrangers en situation irrégulière. Histoire de le mettre devant ses responsabilités en matière de gestion de l’immigration clandestine. D’un côté, c’est l’échec d’une mission régalienne de gestion du flux migratoire, de l’autre, ce sont des citoyens qui se mettent hors la loi en expulsant eux-mêmes des habitants qui leur versaient des loyers, et jusqu’à faire partir des personnes en situation régulière.
Pas de fautifs
Pour la maire Roukia Lahadji, que nous avons contactée, il n’y a pas de fautif, simplement des populations en détresse : « Ceux qui arrivent fuient la précarité dans les îles voisines, et demandent ‘prête-moi ou loue-moi une maison pour me dépanner’. Mais la situation s’installe, et souvent, les occupants s’accaparent la terre sans que le propriétaire ne puisse faire connaître ses droits, vu qu’il n’y a pas d’acte écrit. » Et comme elle l’a toujours dit, « ne faite pas un copier-coller d’une situation en métropole. »
Si les arrivants veulent accéder aux soins, elle rappelle que « les Mahorais aussi, qui réagissent parce qu’avec ces arrivées, ils n’ont plus accès à leur trois priorités : l’hôpital, l’école et une maison. »
Une situation de blocage pour laquelle la maire Roukia Lahadji a appelé directement à l’aide le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve : « Il fallait que je l’informe des évènements. Mais je n’ai aucune solution à proposer aux habitants. C’est vrai qu’ils se sentent envahis, et nous n’avons pas assez de terrains pour construire des logements ou des centres pour les accueillir. »
Politique de titrisation annoncée par le préfet
Le préfet l’a assurée qu’une vraie politique de titrisation était programmée. Et Bernard Cazeneuve a répondu en janvier à sa demande d’agents de prévention : « On ne peut laisser arriver les kwassas et des cases se construire dans la mangrove sans réagir. Quand j’aurai les financements pour ces agents, ils pourront avoir un rôle de répression. »
Elle annonce un vaste plan de bataille : « Au risque de faire exploser mon budget, je recrute 2 agents de sécurité publique qui s’ajouteront aux deux déjà présents. Je veux des compétences, davantage que du nombre. Ils viendront se joindre aux 5 policiers municipaux, aux Volontaires du service civique, aux adultes relai… En travaillant sur la complémentarité, on peut y arriver. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte