L’enseignement aux élèves de ce qu’on appelle «le fait religieux» doit-il être différent selon qu’il est fait par un croyant ou par un humaniste, qu’il soit athée (aucune croyance) ou agnostique (ne se prononce pas sur l’existence ou non de Dieu)? Non, s’accorde à répondre tout le monde. En réalité, il peut varier, et c’est pour s’en prémunir que le référent laïcité de Mayotte, Louis Estienne, a invité pendant toute la semaine au collège de Majicavo, une pointure dans la matière, Henri Pena Ruiz, Philosophe de la laïcité, enseignant à sciences Po, Khâgne, et hypokhâgne.
Le programme de sixième aborde successivement les cultes polythéistes et les grandes religions monothéistes. La portée chez les élèves peut être considérable en fonction de la manière dont l’information lui est fournie. L’actualité et ses légions d’endoctrinement en donnent une preuve et nécessite que l’on se penche sur la méthode appropriée.
Henri Pena Ruiz évoque l’enjeu : « Faire de l’élève un citoyen éclairé. Par les temps qui courent, on en a besoin. Le développement de la liberté de conscience doit amener l’élève à avoir une autonomie de jugement. » Il pourra ensuite choisir entre religion ou humanisme, « en sachant qu’aucun peuple ne détient l’apanage des droits humains. »
« Ne pas prendre les textes du Coran au pied de la lettre »
Trouver la limite entre faire connaître et influencer, c’est la difficulté de chaque enseignant, « il doit éclairer le fait religieux de façon distancié. » Une distance pas toujours facile à trouver. Impossible de la tenir en tout cas sans appréhender les religions dans leur contenu, « et le problème des textes des trois religions du Livre, surtout le Coran, c’est qu’ils sont métaphoriques. »
Donc, comment l’interpréter ? « Car attention, il ne faut pas prendre les textes du Coran, au pied de la lettre. Le professeur ne doit pas devenir théologien, mais faire réfléchir les élèves », appuie Henri Pena Ruiz.
En prenant l’exemple de la parabole du bon grain et de l’ivraie du Nouveau Testament, le philosophe va malgré tout faillir dans son approche distanciée. On connaît tous ce passage qui explique que « le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla. » (Matthieu) Le maître demande de les laisser croitre ensemble, et de brûler l’ivraie à l’époque des moissons.
Zizanie sur la parabole du bon grain et l’ivraie
Henri Pena Ruiz en propose deux interprétations : « Le bon grain, c’est le bon croyant, alors que l’autre doit être brûlé, une parabole difficile. Mais que l’on peut aussi traduire comme le parcours de ma vie, vue au jugement dernier par Dieu, mais trop tardif pour récupérer le mal déjà fait. »
Or, comme le faisait remarquer un enseignant dans la salle, il y a une troisième interprétation : « Nous sommes le champ où est semé le bon grain et l’ivraie, le bien et le mal, et nous devons vivre en faisant fructifier au mieux le premier. »
En réponse, le conférencier expliquait qu’il connaissait cette interprétation, « qui rattrape le texte », rajoutait-il. Comme le père du petit Pagnol, « pris en flagrant délit d’humanité », le conférencier aurait-il donc lui aussi été pris en flagrant délit de non distanciation ?
« Pas d’honnêteté par calcul »
Le philosophe soulignait que, face aux élèves, un enseignant va avoir du mal à expliquer des incohérences apparentes, entre le « Tu ne tueras point », inscrit sur les Tables de la Loi, « alors que Moïse appelle dans la foulée à faire tuer tous ceux qui idolâtraient le veau d’or », ou bien quand dans le Coran il est dit « pas de contrainte en matière de religions », « pour appeler plus loin à agresser les autres religions que l’islam. »
Des difficultés qui pourraient presque renvoyer au passage du discours de Henri Pena Ruiz sur la transposition morale du texte religieux : « Faut-il agir avec droiture pour en obtenir une récompense, comme le pensent les Jansénistes qui attendent ensuite la Grâce de Dieu, ou de façon inconditionnelle, selon les Jésuites ? »
On pourrait conclure avec Kant, « pas d’honnêteté par calcul », ce n’est donc pas son statut de croyant ou d’athée qui importe pour l’enseignant, comme le soulignait le conférencier, « il doit s’intéresser aux fondements de la moralité entre êtres humains. »
On comprend que la tâche de l’enseignant ne soit pas aisée. Il a pour l’appuyer les supports de l’Education nationale, et en cas de doute sur les textes religieux, il peut toujours trouver dans chacune des religions les passages qui contribuent à rendre meilleur l’homme. Et les interpréter comme tel.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte