Kamarane Saïd Mandhoir est hors d’elle, « c’est la première fois que j’organise un défilé qui se passe aussi mal!» Nous la retrouvons assise sur une chaise, elle s’isole. Celui qui co-organise avec elle, tente une phrase, «il y a toujours des impondérables, c’est pas grave!» Mais non, rien n’y fait: «La musique, le défilé, les changement de tenue, tout est minuté ! Mais elles mettent une heure avant d’aller se changer! Du coup on a beaucoup de retard.»
Dehors, en effet, le professeur Bianchini attend la fin du défilé pour commencer une conférence.
Un coup de stress plus qu’une véritable mauvaise humeur, mais quand même, « quand on veut faire plaisir aux spectateurs, il faut être rigoureux ! ». On en profite pour glisser quelques petits questions, elle ne retrouvera le sourire qu’après quelques minutes : « J’ai voulu organiser un défilé de salouva pour une piqûre de rappel de notre culture. »
Le syncrétisme du salouva
Et pendant que les filles sont enfin allées se changer, l’étudiante en L1 d’AES se lance dans un historique du salouva dont se parent les femmes des quatre îles de l’archipel des Comores. C’est un tissu que la femme noue à la poitrine, par dessus un body à manche longue, et sur lequel vient se rajouter un kishali, de même motif, posé sur l’épaule ou sur la tête : « Autrefois, c’était un tissu très fin, de la mégaline, puis il a évolué vers le sari en se parant de broderies de fleurs indiennes. Il a encore évolué vers le nabawane, avant de reprendre des broderies indiennes. »
Entre midi et quatorze heures, ce fut donc un défilé des plus beaux salouvas, pour terminer par le feu d’artifice des mariés, un grand-mariage bien sûr, avec sketch intégré : « Je suis heureux de réunir pour un manzaraka* ces deux tourtereaux », commençait le cadi de circonstance, « dont il faut rappeler la dot de 20.000 euros et 5 zébus et 3 moutons à égorger le jour du mariage, vendredi après-midi, en guise de nourriture aux notables », dont il fait partie, ce qui l’incitera à demander 5.000 euros en guise de commission pour cet acte… C’est l’hilarité dans la salle.
Retour à la tradition pour les jeunes
Un grand-mariage plus vrai que nature, avec un marié en costume somptueux, billet de banque dans la bouche en cadeau, éventé comme le veut l’usage, et la mariée ne peut pas être autrement que magnifique, surtout qu’elle est fleurie et maquillée selon la méthode traditionnelle du M’sindzano par Saboutia Abdourahamane, à la tête de Jardin d’Eden* et de Vert Tige.
Et derrière, il y a toujours Jean-Louis Rose, professeur de littérature médiévale au CUFR, « je n’ai fait qu’accompagner, elle a tout organisé », glisse-t-il.
Le pari est réussi, les flashs ont crépité, la salle de l’auditorium était pleine, et malgré le timing non respecté, Kamarane Saïd Mandhoir, affiche un sourire, heureuse d’avoir mis ce bout d’histoire mahoraise sur le devant de la scène : « Ma maxime, c’est que la tradition et la culture sont le berceau de toute évolution. »
Un bon bagage pour que ces étudiants évoluent donc ensuite dans leurs études, et ils sont fermement décidés à ne pas oublier l’île dont ils sont issus.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Elle expose actuellement au CDTM