Les services que nous rend la nature, sont-ils quantifiables en monnaie sonnante et trébuchante ? Et si oui, comment en connaître le montant ? Si Victor Bianchini a tenté d’y répondre, la difficulté du sujet prend presque aussitôt le dessus. La prise de conscience recherchée tient d’ailleurs presque plus dans le sujet en lui-même, que dans la manière d’y répondre.
Car s’il s’avérait qu’il était impossible de chiffrer le plaisir d’un bain dans un lagon propre, ou de celui de humer le parfum des quisqualiers à la tombée de la nuit, le fait d’avoir lancé le débat sonne déjà comme un petit air d’urgence.
L’évaluation des bienfaits que nous procure la nature ne se limite pas au prix d’une récolte de banane ou de goyaves, ni même à une pêche au mérou fructueuse, mais bien des services que la nature nous offre, parfois à l’insu de son plein gré, et que nous bafouons. Combien nous coute une canette balancée sur le bas-côté ? Quel est le prix à payer pour des eaux usées qui se déversent dans le lagon ?
16.000 à 54.000 milliards de dollars de cadeaux
Le titre de la conférence avait de quoi en effrayer plus d’un, puisque Victor Bianchini, maitre de conférence au CUFR, proposait des « Regards croisés sur les services écosystémiques », c’est à dire sur les bénéfices ou le bien-être que les individus tirent de leur propre environnement. Ces regards seront celui de l’historien, du philosophe et de l’économiste à la fois.
De cette définition, on relève que l’individu ne se dissocie pas de ce qui l’entoure, ainsi que le rappelle le conférencier, citant la notion d’écosystème créée par Arthur John Tansley : « Il pense la société avant l’individu, et le lien entre les deux, c’est le service écosystémique », les services que rend la nature à l’homme. Si ces attributs rendent la vie possible à l’homme, sont-ils gratuits ?
Robert Constanza, qui passe pour être le fondateur de l’économie écologique, donne en 1997 une valeur annuelle des services écosystémiques, que nous rapporte Victor Bianchini : « Une évaluation entre 16.000 milliards de dollars et 54.000 milliards de dollars par an », soit du simple au presque quadruple. Ce qui donne une idée de la difficulté de la tâche, surtout que l’ensemble de la biodiversité terrestre n’est pas encore connu.
La valeur du moustique
Et surtout, ne chiffre-t-on que ce qui est quantifiable, comme la quantité de bois à extraire d’une forêt ou le volume d’eau à prélever, au risque de ne préserver que ces éléments ? Et alors que la nature se rend service à elle-même, ne doit-on mesurer que ce qui nous apporte un bienfait ? « Le moustique a une valeur en lui-même, même si elle ne nous concerne pas directement ».
La parution en 2005 du rapport de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystems Assessment), et les conclusions d’un G8, ont influencé la classification des services rendus par notre écosystème.
Les valeurs vont ainsi décrescendo vers le moins tangible : En commençant par la valeur d’usage directe, « celle que l’on consomme, comme l’eau, la nourriture ou le bois », pour continuer vers la valeur d’usage indirecte, puis la valeur d’option, « celle que l’on souhaite consommer dans le futur », la valeur de non-usage, « que l’on ne peut pas consommer maintenant pour la léguer à nos petits-enfants », et enfin la valeur d’existence, « qui accorde une valeur à la biodiversité pour elle-même. »
L’économie au service de la nature
Pour chiffrer ces valeurs, le professeur d’économie va ensuite regarder s’il existe un marché, c’est à dire une confrontation entre une offre et une demande, « comme c’est le cas pour notre exemple du bois. »
Lorsqu’il n’y en a pas, les outils économiques nous offrent tout un panel, dont « la méthode des prix hédonistes, qui ne donne pas le même prix pour une maison selon qu’elle sera en face d’une forêt ou pas, la méthode des biens substituables, pour l’eau, ça pourrait être son prix en bouteille, la méthode des coût marginaux, l’importance de la dernière gorgée d’eau, ou encore, celle des coûts d’opportunité, on envisage par exemple ce que pourrait être Mayotte sans mangrove, ou enfin la méthode des coûts de transports, le prix que paie un touriste pour venir découvrir la mangrove. »
La taxe comme valeur de l’écosystème
Et dans les cas où tout cet attirail ne marche pas, on peut encore cerner les atouts que nous offre la nature : « on crée un marché fictif, en demandant combien les gens seraient prêts à payer pour préserver la mangrove, et continuer à en déguster les crabes, ou comparer la mangrove mahoraise avec une autre dont on connaîtrait la valeur. »
Pas besoin dans le cas de la mangrove, dont on connaît les apports en poissons et crabes, en écotourisme et les vertus de protection contre les inondations ou en apport de cycle carbone : « nous pouvons passer soit par les marchés et les méthodes exposées », affirme le conférencier, graphique à l’appui.
On pourrait rajouter qu’en fixant une règle simple, qui devient universelle, « un arbre planté pour un arbre coupé », il n’est pas besoin d’outil économique pour pouvoir entretenir les bienfaits reçus.
C’est d’ailleurs un peu dans ce sens, que conclura Victor Bianchini qui, rappelant le constat d’une nature exploitée sans que l’homme ne se soucie d’environnement, incitait à taper au portefeuille, « il faut mettre en place des taxes comme on l’a fait pour les voitures polluantes. » Avec des taxes et des amendes, c’est certain que la valeur de la nature va être en forte croissance !
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte