A force d’expliquer aux préfets successifs que les habitants ont de plus en plus peur d’être agressés en sortant le soir, à force de solliciter les élus pour qu’ils accompagnent la jeunesse, à force de secouer les parents pour qu’ils se fassent obéir de leurs enfants, les habitants de Mayotte sont épuisés.
A force d’entendre les représentants de l’Etat répondre que nous sommes victimes d’une simple impression de délinquance, et de s’apercevoir que Paris les croit en dépits des alertes, à force d’écouter des discours d’élus sans aucune implication derrière, à force que les parents aient démissionné au point même de ne plus fouiller le sac de son fils, un homme a été poignardé vendredi au soir.
Calme depuis plusieurs mois, et pour des raisons bien précises, le quartier de Kawéni s’est réveillé berceau d’un meurtre. Les jeunes de l’association de quartier, AJKE et le Village d’Eva, ont donc immédiatement réagi en organisant ce samedi matin une marche blanche. Avec la famille de la victime. C’est à dire son fils Matteo, sa femme, dont il était séparé, et sa compagne. Il tenait le One again Café, quartier de la Poste à Dembéni.
Les jeunes ont construit leurs bangas
Un fils qui aura vécu les évènements de prés puisque son papa était venu le chercher après son cours de judo, en face de la station Total de Kawéni, vendredi au soir lorsqu’il s’est fait agresser. « Nous avons donné les noms des deux auteurs à la police dès vendredi au soir », nous expliquait Julien Gauquelin, au départ de la manifestation. Ils auraient entre 14 et 17 ans, « l’un d’entre eux sort de prison pour une agression sexuelle commise sous l’emprise de chimique », croit-il savoir.
Les jeunes de Kawéni, il les connaît bien. C’est lui qui avait co-organisé la marche pour la paix il y a trois ans, et c’est lui qui les a incités à se structurer en association, l’AJKE, Association des Jeunes de Kawéni Espoir. Faute d’avoir un lieu de vie, ils se sont retroussés les manches, et ont bâti un petit village de bangas en terre derrière la Poste de Kawéni. C’est Haffaridine Ali Mohamed, dit « Rasta », qui la préside.
Un peu énervé Rasta au départ de la marche blanche, de voir que le maire de Mamoudzou, Majani Mohamed et ses adjoints, en avaient pris la tête. « On les sollicite à longueur de temps, sans qu’ils nous accordent la moindre attention ! », regrettait-il. Au moins, auraient-ils pu se fondre dans la masse plutôt que de se faire les porte-drapeaux de la douleur populaire… D’autres déplorait que la préfecture ne soit pas représentée. Mais l’important était ailleurs, dans le soutien formidable de cette foule d’anonymes à la famille.
« Le condamner à partir en prison à Anjouan »
La foule grossissait à vue d’œil, un rassemblement de toutes les communautés, « nous voulons montrer que nous sommes tous solidaires face à cette violence », expliquait à l’assemblée Msaïdie Mohamed, le représentant de la communauté comorienne, avant une minute de silence. Difficile à chiffrer, ils étaient nombreux à arpenter les rues de Lazerevouni, pour ensuite rejoindre le rond point SFR et, en passant par la route qui longe Sodifram, et stopper sur le lieu même du meurtre.
Les habitants qui formaient la marche blanche veulent parler de leur peur, « mon fils est dans le même club de judo, je n’ose plus y aller », explique Ouarda, « moi je n’ose plus aller le soir boire quelque chose au café », souffle Ahmed, alors que Farida, qui travaille à la Poste de Kawéni, tient à ce que nous remontions son reproche : « S’il est repris, ce jeune va bien manger et regarder la télé en prison. Il va faire le fort quand il ressortira. Pourquoi on ne le renvoie pas chez lui à Anjouan, pour qu’il soit condamné dans cette prison, toute petite, où circulent les rats, et où la nourriture est peu abondante ? »
Tout le monde se retrouvait ensuite dans les bangas de l’AJVK, sans véritable organisation, ce qui incitait les élus à prendre la parole. S’il y avait un constat à défendre, c’est celui du calme pérenne que connaissait Kawéni, notamment pendant le mouvement social de 15 jours qu’a connu Mayotte, « grâce au mouvement associatif », reconnaissait le conseiller Ali Debré Combo. Mais pas en se l’appropriant, ce que certains auront fait sans vergogne, tout en pointant l’origine étrangère des fauteurs de troubles.
« Rien ne sort des CLSPD »
Une attitude qui n’aura plu ni à la famille qui ne voulait pas entrer dans la logique d’une politique dont les enjeux la dépassait, ni à l’association AJVK, qui travaille avec ces jeunes quelques soient leurs origines, et on a vu ces derniers mois la cohérence de quartier qu’il parvenait à avoir.
Le principal du collège de K1 rappelait que 150 enfants y étaient scolarisés, « sans famille », et au sujet des outils CLSPD ou GTD vantés par le maire, déplorait qu’aucune action valable n’en ressorte faute d’acteurs qualifiés pour prendre des engagements sur l’avenir des jeunes. « Nous nous faisons attaquer le matin et le soir, mais il y a un mieux cette année à Kawéni », encourageait-il.
C’est une maman du quartier qui prenait ensuite la parole pour dire son désarroi, « nos jeunes ne nous écoutent pas », et sa peur face à ces jeunes qui arrivent d’autres quartiers, et viennent se réfugier à Bandrajou après avoir commis leurs forfaits. Une école de la parentalité, en présence des deux générations, pourrait sans doute être un début de solution…
Des élus pas à l’écoute
Celui qui était légitime pour mettre les élus devant leurs responsabilités, Julien Gauquelin, qui vit avec ces jeunes dans les bangas, tout en travaillant à K1, prenait la parole pour demander une chose, « un rendez-vous dès cet après-midi pour qu’on vous expose nos projets et nos besoins. » Et ni le maire ni le conseiller départemental n’ont été fichus de répondre oui… Un membre de l’assistance a fait alors monter la pression, et la réunion a été écourtée, la famille et les amis de la victime préférant se retirer dignement.
Julien Gauquelin a des pistes : « L’un des deux jeunes que nous suspectons est sorti de prison il y a un mois. Il était suivi par la Protection judiciaire de la jeunesse que nous avons sollicité à de nombreuses reprises pour des actions de formations, mais sans aucun écho. D’autre part, il faut libérer un terrain pour à la fois loger les jeunes, mais aussi lancer un projet agricole qui peut générer des emplois. Pareil pour le nettoyage du quartier. »
Il critique une mesure de couvre-feu pour son inefficacité : « interdire au moins de 13 ans de circuler après 23h, c’est trop tard à cet âge. Et pourquoi ne pas monter le seuil à 16 ans ?! Et elle est inapplicable, la police municipale ne travaillant pas la nuit. » POur achever le tableau, il explique qu’il a sollicité la mairie depuis un an pour mettre en place une association de la MJC qui va sortir de terre. « Sans aucune réponse… »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte