Le sénateur Thani Mohamed Soilihi reproche un manque de réflexion sur l’immigration

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La question du sénateur Thani Mohamed Soilihi au ministre de l'intérieur
Thani Mohamed Soilihi lors des questions au gouvernement

Le JDM : « La phrase la plus courue ces temps ci est ‘force doit rester à la loi’. A la fois dans la bouche du préfet pour reloger les personnes en situation régulière, dans celles des collectifs de mahorais incitant à la lutte contre l’immigration clandestine, et dans celle des ‘décasés’ qui ont été illégalement délogés. Quelle couleur prend-elle dans la bouche du sénateur et avocat que vous êtes ? »

Thani Mohamed Soilihi : « ‘Force doit rester à la loi’, c’est un des fondements de l’Etat de droit. Les premiers à l’avoir enfreint sont quand même les étrangers en situation irrégulière par leur entrée illégale sur notre territoire. Certains communiqués parisiens sont trop hâtifs, et ne correspondent pas aux alertes permanentes des ministères que nous avons faites sur la situation. De mon côté, j’ai posé sur ce sujet une question d’actualité à Bernard Cazeneuve le 4 mai, et je l’avais interpellé en septembre dernier sur la loi portant sur l’immigration. »

JDM : « Les mahorais sont taxés de ‘xénophobes’ par plusieurs médias métropolitains. Est-ce fondé ? »
 
T. M. Soilihi : « Il faut arrêter les propos démagogiques et populistes lorsque l’on ne connaît pas parfaitement la situation. Nous supportons depuis trop longtemps cette situation migratoire, qui voit nos terrains grignotés par des constructions illégales. Mais le problème va bien au delà : les dotations allouées à Mayotte, les plus basses de France, sont fonction de la population évaluée par l’INSEE. Or, le flux migratoire appellerait près de deux fois plus de moyens pour les soins ou la scolarisation. Le CHM (dont il est le président du conseil de surveillance, ndlr) doit supporter 45 % de charges supplémentaires. Certains Mahorais doivent aller se faire soigner à La Réunion ou en métropole car les structures hospitalières sont envahies et confisquées par les non assurées ! Il n’est donc pas question de xénophobie ici, mais bien de situation devenue insupportable, inacceptable. »

Pas de libre circulation sans accepter l’ensemble des contraintes

Bernard Cazeneuve en visite au service des étrangers de la préfecture le 19 juin 2014
Bernard Cazeneuve en visite au service des étrangers de la préfecture de Mayotte le 19 juin 201

JDM : « Le 7 mars 2016 a été promulguée une loi modifiant le code des étrangers, qui est peu dérogatoire pour Mayotte. Va-t-elle bouleverser la donne ? Dans quel sens ? »
 
T. M. Soilihi : Compte tenu de la pression migratoire hors norme que nous vivons, le droit commun ne peut s’appliquer dans ce domaine. Malgré tout, lorsque nous demandons une libre circulation des détenteurs de titres de séjour sur l’ensemble du territoire, comme c’est le cas pour les autres DOM, d’aucuns dans les ministères nous répondent ‘vous voulez un droit dérogatoire, ou pas ?’… Nous devons donc rester cohérents et il faudrait regarder article par article ce que l’on pourrait supporter du droit commun.
Des éléments de cette loi vont en faveur de la simplification des démarches pour les étrangers, d’autres amélioreraient leurs droits à recours, mais ne pourraient pas être applicables en l’état à Mayotte, faute de moyens suffisants. Les expulsés pourraient en effet exercer un recours davantage effectif, mais qui impliquerait ici au moins deux Juges des libertés et de la détention supplémentaires, du personnel de greffe en plus, voire même des locaux supplémentaires, que même l’extension en cours du TGI ne permettrait pas de dégager. Or, il n’y aurait rien de pire dans ce domaine qu’une loi qui existe sans pouvoir s’appliquer. Surtout que l’Etat risquerait une condamnation européenne pour cela. »

JDM : « Comment pouvez-vous en tant que parlementaire peser pour proposer des solutions ? »

Interception d'une embarcation en provenance d'Anjouan
Interception d’une embarcation en provenance d’Anjouan

 
T.M. Soilihi : « J’y travaille. Mais il faut être certain de pouvoir rattacher un amendement à un texte et qu’il ait des chances de prospérer. Il ne faut pas dramatiser cette loi sur le droit des étrangers. J’entends à Mayotte des propos qui reprennent la position du Front national qui y voit un élargissement du droit du sol. C’est bizarre que ce parti ne se soit pas insurgé le jour du vote à l’Assemblée. D’autre part, cet argument est faux. Certains points renforcent même au contraire la lutte contre l’immigration clandestine, comme un amendement que j’ai fait passer, et qui est devenu l’article 65 de la loi, pour sanctionner plus lourdement ceux qui ont recours à l’emploi de clandestins à Mayotte. Quant aux démarches simplifiées, c’est également pour aboutir plus rapidement à une réponse négative. On va dans le sens de l’efficacité du droit.»

Instrumentalisation du débat sur le droit du sol
 
JDM : « Certains reparlent du droit du sol que vous aviez proposé de remettre en question. »
 
T. M. Soilihi : « Justement, ce n’est pas forcément en période pré-électorale que cette question doit resurgir. La sérénité et l’efficacité du débat s’en trouveraient perturbées. La droite était au pouvoir pendant plusieurs années, notamment Nicolas Sarkozy, lorsque Mansour Kamardine avait déposé une proposition de loi de suppression du droit du sol à Mayotte en 2005, et la question n’a pas évolué. Soit ce n’est pas possible car cela touche trop profondément aux valeurs de la République, soit on traite sérieusement la question en proposant par exemple une expérimentation à Mayotte, pour en évaluer l’impact sur l’immigration clandestine. Il faut un travail à la hauteur des enjeux et non des propositions populistes. »

JDM : « Pour revenir à la situation actuelle, quelle solution pour reloger les étrangers en situation régulière ? »

Médecins du monde sur la place de la République à Mamoudzou
La veille sanitaire n’est qu’une solution provisoire

T. M. Soilihi : « Nous sommes dans un pays de droits, je ne vois pas au nom de quoi on chasserait des personnes qui ont demandé et obtenu le droit d’entrer puis de séjourner sur le territoire. C’est un minimum qu’il faut admettre. Mais dans ces dossiers, il y a aussi la problématique entre bailleurs et locataires qu’il faut traiter en tant que telle, sans tout mélanger. Dans le cas d’occupations illégales de terrains par des réguliers, le problème doit être traité entre les parties par la discussion, notamment avec la préfecture, le maire et les conseillers départementaux du canton, et soumis le cas échéant à l’arbitrage du juge.»

JDM : « Sur ces thèmes, que peut-on attendre de l’Union des Comores? »
 
T. M. Soilihi : « La question de la coopération n’a, elle non plus, jamais vraiment été abordée sérieusement. Il faut que la diplomatie française s’y mette, il y a trop d’intérêts financiers de l’autre côté. Les associations ‘droit-de-l’hommistes’ et comoriennes demandent aux Mahorais d’avoir de l’empathie, mais les dirigeants comoriens qui incitent leurs concitoyens à partir pour la mort ou l’extrême précarité en sont-ils exonérés?  Il est normal que l’élu mahorais pense d’abord à respecter ses engagements vis-à- vis de ses administrés et pense en priorité aux Mahorais. »

JDM : « En conclusion ? »
 
T. M. Soilihi : « J’attends avec impatience le plan sur l’immigration et sur la sécurité de Bernard Cazeneuve. »

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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