Nous aurions pu titrer le « point mort » des dossiers des « décasés », si nous n’avions fait qu’observer le camp de la place de la République ce jeudi matin : une sorte de train-train s’est installé chez les 250 personnes qui y vivent. Les mamans font la toilette des petits au point d’eau de la citerne renouvelée régulièrement par la SMAE, les garçons sont passés maître dans la réalisation d’avions en papier, et les plus grands sont regroupés sur une natte, cahier et stylo en main, essayant de résoudre un problème de grammaire affiché sur un tableau noir. Pas besoin de les forcer, on sent leur envie d’étudier.
L’un d’eux essaie d’accorder le bon adjectif possessif, il tranchera : ce sera « ils ont perdu SES parents », et non « leurs »… Il y a des expériences qui perturbent les règles de grammaire.
Le retour sanitaire que nous fait l’antenne locale de Médecin sans Frontières, qui compile les données pour un bilan plus affiné, n’est ni mauvais ni bon. Mais il pourrait s’aggraver : « Nous avons majoritairement des cas d’infection des voies respiratoires et des diarrhées, sans les lier avec certitude avec la présence des personnes dans le camp. Mais nous notons par contre beaucoup d’interruptions de suivi médical, liées à leur départ précipité, et énormément de retard de vaccination, alors que les enfants étaient jusque là correctement suivis par les PMI. »
Pas de gale, ni de choléra
Des jeunes et moins jeunes qui ne sont plus protégés, ainsi qu’une mère qui vient d’accoucher et qui se préparait à dormir dehors avec son nourrisson, « nous avons demandé qu’elle soit hébergée. » Des toilettes ont été mises à disposition, indique la préfecture, qui a mandaté l’Agence régionale de santé pour une évaluation sanitaire quotidienne : « Dans ce cadre, aucun cas de choléra, de gale ou autre maladie n’a été signalé à ce jour. » Trois repas leur sont servi par jour, grâce à des dons.
Pour Assani Mfoungoulie, président de la Ligue des Droits de l’Homme à Mayotte, la situation n’est plus tenable : « Il faut restaurer l’Etat de droit. » Il a fait défiler les enfants scandant ‘nous sommes français’ hier devant la préfecture, avec une reprise en chœur de la Marseillaise place de la République.
Attestations de complaisance à Chirongui et Boueni
De son côté, la préfecture a fait sa partie, comme le renseigne un communiqué sorti à midi : après avoir procédé à l’examen des situations administratives des personnes, une liste a été envoyée aux communes d’où provenaient les certificats d’hébergement fournis. Les services des mairies doivent les authentifier. Pour pouvoir ensuite réacheminer ces personnes : « Lors de la réunion du 23 mai 2016, présidée par le Préfet de Mayotte, Frédéric Veau, le retour des personnes expulsées dans leurs lieux d’hébergement initiaux a été acté avec les maires des 17 communes du département », rappelle la préfecture.
C’est effectivement le cas à Chirongui, comme le rapporte au JDM la maire Roukia Lahadji : « J’ai bien reçu la liste, quatre personnes étaient concernées dans ma commune pour avoir signé des attestations d’hébergement. Ils étaient tous de complaisance. Pour l’une par exemple, c’était pour permettre la scolarisation des enfants, l’autre était marié, mais depuis séparé. Je leur ai demandé d’assumer, et j’ai retourné ces éléments à la préfecture. » Pour elle, c’est à l’Etat de contacter ces personnes qui peuvent accepter ou non de recevoir de nouveau les personnes délogées.
Même son de cloche à Boueni, dans une autre proportion puisque la commune est la principale touchée par les « décasages »: « Sur 22 attestations, 20 peuvent être assimilées à de la complaisance », indique le maire Mouslim Abdourahaman, « la préfecture devrait donc annuler les cartes de séjour. »
Les personnes seront alors reconduites à la frontière, fait remarquer la maire socialiste Roukia Lahadji, qui se justifie : « Quel est le département français qui peut dire aujourd’hui que l’immigration est la règle sur son territoire ? Quel est celui dont la moitié de la population vit dans la clandestinité ? Aucun en dehors de Mayotte. »
La situation évolue donc lentement, mais se règlera difficilement dans l’intérêt des personnes délogées.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte