10 propositions sur 10 ans: les sénateurs veulent casser les blocages du foncier à Mayotte

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Les zones littorales à risques ont été recensées par les mairies
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Régler définitivement les questions foncières héritées de l’Histoire

Le rapport d’information du Sénat porte un titre un peu pompeux: «Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières». Mais il en dit long sur les ambitions de ce travail des sénateurs* qui veulent, ni plus ni moins, régler les questions foncières qui cadenassent les initiatives et perpétuent des situations d’un autre âge.

«Cette situation aurait dû être bouclée avant la décentralisation de 2004/2005 mais l’Etat n’a pas fait son travail», pose clairement le sénateur Thani. La synthèse du rapport note d’ailleurs que depuis la création du cadastre en 1992 puis la réforme de régularisation foncière à partir de 1996, aucune initiative n’est venue achever le travail.

Avec ce rapport, les sénateurs font 10 préconisations pour notre département qui permettraient, à l’issue d’une «période transitoire» de 10 ans, de rejoindre enfin le droit commun.

Création d’une commission de l’urgence foncière.
Les sénateurs propose de créer cette instance qu’ils souhaitent présidée par un magistrat, associé à des représentants de l’État, du Département, des communes, des cadis et des professionnels du droit rodés à la problématique foncière. Elle tiendrait des audiences sur le terrain pour dresser un état des lieux des possessions et usages.

Thani Mohamed Soilihi sollicite la réaction de la population
Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordinateur de ce rapport d’information sénatorial sur le foncier

Pour résorber les indivisions, cette commission pourrait racheter des titres de propriété et redistribuer les terres sur la base de l’occupation notoire et socialement acceptée sur une période de 10 ans. Les héritiers non occupants qui se manifesteraient avant l’expiration d’un délai de 5 ans seraient indemnisés.

Dans certains cas, les personnes qui occupent un terrain depuis plus de 10 ans sans contestation, même s’il ne leur appartient pas, pourrait devenir propriétaire de la parcelle. Ce droit existe déjà dans la loi mais il faut attendre 30 ans pour l’appliquer. Raccourcir ce délai permettrait de régler légalement de très nombreuses situations en une décennie.

Zone des pas géométriques (ZPG): «Sortir du système colonial»
Le rapport préconise de transférer les zones urbanisées de la ZPG, actuellement domaine de l’État, vers le Département. «Aujourd’hui, pour régulariser une ZPG, il faut payer le prix fort à l’Etat, alors que pour régulariser sur les parcelles du département, c’est gratuit. C’est injuste alors que le peuplement de Mayotte s’est fait par le littoral. Ces ZPG sont une notion coloniale qui n’a plus sa place aujourd’hui», analyse le sénateur Thani. Le département pourrait ainsi «définir une politique foncière à l’échelle du territoire et permettrait une unification des procédures de régularisation».

Conserver du collectif dans la notion de propriété
Là encore, la culture mahoraise trouverait un écho dans la loi. Les sénateurs proposent la création de «certificats fonciers collectifs, permettant de formaliser une gestion de nature collective et de garantir certains droits d’usage». Pour le sénateur Thani, «il faut régulariser en maintenant dans certains cas une propriété collective, par exemple pour des besoins agricoles. Ensuite, si au fil du temps les propriétaires veulent se partager la terre, ils pourront le faire. On ne peut pas forcer les Mahorais à avancer vers une individualisation là où les choses existaient de façon collective».

Ne pas exécuter une décision judiciaire d’expulsion deviendrait un délit

Les sénateurs de la mission sur la sécurisation foncière lors de leur passage à Mayotte en octobre 2015
Les sénateurs de la mission sur la sécurisation foncière lors de leur passage à Mayotte en octobre 2015

Les sénateurs ont suivi l’exemple des textes de loi sur la pension alimentaire. En cas de non-paiement, la personne peut être poursuivi pour «abandon de famille». Cette méthode appliquée au foncier reviendrait à poursuivre ceux qui ne se plieraient pas à une décision judiciaire d’expulsion. De cette façon, la protection de la propriété titrée serait garantie face à des occupations clandestines.

«Au bout de 11 ans de procédures, on ne doit plus demander des dizaines de milliers d’euros à des familles pour faire exécuter une expulsion», tranche le sénateur Thani.

La proposition est audacieuse mais si elle devait être appliquée à l’échelle nationale, elle serait sans nul doute soumise à un débat très vif, car elle pourrait être mise en avant dans nombres de situations sensibles en métropole.

Des bangas déclarés !
Enfin, les bangas en tôles sont désormais connus jusqu’au Palais du Luxembourg. Les sénateurs veulent en effet «soumettre à un régime de déclaration préalable la construction des ‘bangas’».

Sont régularisables les habitations construites 10 ans avant 2007
Le rapport propose une déclaration pour chaque banga

«Il ne s’agit pas de déposer un permis de construire, mais de faire une déclaration pour que le maire d’une commune sache qu’à tel endroit, une personne érige une construction», explique le sénateur Thani. En cas de non-déclaration, l’intervention des forces de l’ordre dans la lutte contre les occupations illicites serait grandement facilitée. Il s’agit clairement d’encadrer législativement des expulsions qui seraient menées par des forces de sécurité.

Enfin, parmi les mesures proposées, les sénateurs demandent de renforcer «substantiellement» les moyens humains et matériels de la DAFP (direction des affaires foncière et du patrimoine), de «fluidifier la procédure de régularisation sur les terrains du Département» en réduisant les délais et en supprimant temporairement les frais d’enregistrement et de «développer la culture du recours à l’acte authentique».

Des propositions à concrétiser

«Nous avons voulu faire des propositions parfois novatrices ou originales qui pourraient être source de justice et permettre de sortir des blocages du développement économique et social», insiste le sénateur Thani.

Reste que ces préconisations doivent intégrer une loi pour être mises en pratique et les sénateurs souhaiteraient que les choses aillent relativement rapidement. Et si de façon générale, les questions liées à l’Outre-mer transcendent les clivages politiques (le rapport a été adopté à l’unanimité, le sénateur Thani étant le seul élu de gauche), la période de fin de législature actuelle et les enjeux nationaux de certaines de ces propositions risquent fort de retarder une éventuelle transposition concrète de ce travail.

RR
www.lejournaldemayotte.com

*Ce rapport d’information a été réalisé par Thani MOHAMED SOILIHI, rapporteur coordonnateur, Mathieu DARNAUD et Robert LAUFOAULU, rapporteurs.

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