Les 5 associations* à intervenir dans les CRA dans la majeure partie du territoire national proposent leur état des lieux annuel détaillé. Leur rapport** est à la fois global et propose un focus sur chaque centre. Une fois encore, le document dénonce une politique d’enfermement des étrangers, une exception à la loi devenue la norme. A l’échelle nationale, 47.565 personnes ont été privées de liberté en 2015 dans les CRA. Mais «ces chiffres sont gonflés par la situation à Mayotte qui ne change toujours pas», constate Yohan Delhomme, de la CIMADE Mayotte.
Car pour notre seul département, les chiffres sont de 17.461 personnes placées en rétention en 2015. Les associations annoncent 995 personnes (dont 328 mineurs) placées dans les seuls LRA, les locaux de rétention administratives utilisés lorsque le CRA est au maximum de sa capacité.
L’autre particularité de Mayotte réside dans le nombre de mineurs qui transitent par le CRA: 4.378 enfants de moins de 18 ans sont passés par la rétention l’an dernier. Le chiffre est clairement une anomalie spectaculaire lorsqu’on sait qu’en métropole seuls 116 enfants ont été concernés.
Ces enfants proviennent essentiellement des kwassas interceptés par les forces de sécurité, d’où une situation totalement différente de celle qui prévaut dans l’Hexagone.
Les droits mineurs ignorés
«On reste sur une pratique quantitative importante alors qu’on aurait pu s’attendre à un développement de pratiques alternatives», dénonce Yohan Delhomme.
En effet, les associations espéraient que la condamnation de la préfecture par le Conseil d’Etat le 9 janvier 2015 change la donne. La décision était un rappel cinglant de la France à ses obligations : pour placer un mineur dans un CRA, il faut que son identité et celle de la personne à laquelle il est rattaché soit assurée ; que le lien familial qui unit l’enfant à cette personne soit clairement stipulée ; que les conditions de prise en charge du mineur lors du retour dans son pays d’origine soient garanties.
«Aucune de ces trois conditions ne sont remplies à Mayotte», affirme sans ambiguïté Méline Moroni, de Solidarité Mayotte, également coordinatrice de la mission accès au droit au CRA de Mayotte.
Des moyens restreints pour les associations
Depuis le 15 novembre, l’association assure une présence 6 jours par semaine de 7h30 à la mi-journée, pour informer les personnes retenues de leurs droits, y compris par des entretiens individuels qui peuvent déboucher sur des recours.
«C’est une avancée», concède la CIMADE car pour la première fois des salariés remplissent ces missions. Pour autant, elle est très mesurée. Solidarité Mayotte ne dispose en effet que de deux salariés face à 17.461 cas à gérer. Ailleurs en France, 60 personnes interviennent dans les CRA pour 27.947 personnes retenues.
Romain Reille, le directeur de Solidarité Mayotte précise que ces moyens restreints sont «souvent» évoqués lors du comité de suivi et de pilotage avec la préfecture pour qu’ils soient augmentés. L’association va d’ailleurs faire des propositions pour doter le CRA de Mayotte d’une «équipe conséquente».
Des passages trop courts
Pour autant, les associations (TAMA intervient également) se montrent satisfaites du nouveau CRA mis en service en septembre 2015. Les conditions matérielles y sont globalement bien meilleures qu’avant. L’époque où les rapports s’accumulaient sur une situation «indigne de la République» semble terminée.
Mais une chose n’a pas changé et bloque toute volonté de faire respecter le droit : le temps très court de passage dans le CRA. A Mayotte, les personnes restent retenues généralement moins de 24 heures avant d’être éloignées contre 3 jours en moyenne en métropole. Le délai est trop bref pour que les personnes puissent s’appuyer sur le droit.
«Une autre difficulté est le lien avec les avocats est quasiment inexistant alors que les personnes reconduites sont des justiciables comme les autres», explique Méline Moroni.
Une nouvelle loi sans conséquences
Enfin, les associations mahoraises ont tenu à réaffirmer que les nouvelles dispositions législatives prévues pour entrer en vigueur au 1er novembre ne devraient pas changer grand-chose, contrairement à ce que peuvent affirmer certains qui agitent la crainte d’une fin des reconduites. Le juge des libertés et de la détention (JLD) sera saisi sur les dossiers dès 48 heures de retenue contre 5 jours actuellement. Mais compte tenu de la situation mahoraise, la multiplication des recours est peu probable.
Au final, les associations mettent en accusation une politique de privation de liberté qui ne parvient pas à faire diminuer les chiffres. Entre 2011 et 2015, 93.147 personnes ont subi un éloignement forcé, précise la CIMADE.
Comment changer les choses
Pour autant, comment faire évoluer la situation? Solidarité Mayotte souhaiterait que soient généralisées les procédures utilisant les empreintes pour établir avec certitude l’identité des personnes retenues.
Mais concernant les mineurs, tout changement continue de se heurter sur les manques de dispositifs en place. Une seule issue semble se dessiner mais elle se place sur le long terme, comme le reconnaît Albert Nyanguilé, de la CIMADE Mayotte : le développement des Comores. «Que nos élus locaux prenne leur courage, rencontrent les élus des Comores et arrivent avec les gouvernements à travailler sur le développement de l’archipel.» En attendant, les chiffres vont probablement continuer à donner le tournis.
RR
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*Les 5 associations: L’ASSFAM, Forum réfugiers/COSI, France terre d’asile, l’Ordre de Malte et la CIMADE
**Le rapport s’intitule «Enfermement et éloignement : des pratiques démesurées au détriment des droits fondamentaux»