C’est toujours un sujet délicat que celui de l’égalité homme-femme. Car si comme l’explique Marie-Françoise Lebon-Blanchard, Haute fonctionnaire en charge de l’égalité des droits du ministère de la Justice, « nous avons tous les mêmes cerveaux », on ne peut pas exclure les différences physiques, la part de féminité ou de masculinité, qui incitent à intégrer certaines branches ou à se diriger vers des métiers plus en phase.
C’est à l’invitation de Gracieuse Lacoste, Première présidente de la Cour d’appel de Saint-Denis (La Réunion), que la magistrate s’est rendue dans l’océan Indien, et donc à Mayotte : « Avec une particularité ici, nous avons une approche transversale avec un travail commun entre la justice, les fonctions publiques d’Etat et territoriales et la Direction aux Droits des femmes », précisait Gracieuse Lacoste.
Un colloque, « monté avec efficacité et rapidité par le CNFPT », soulignait Noéra Mohamed, Déléguée régionale aux droits des femmes, qui sortait du cadre de la justice pour évoquer les problématiques plus générales en matière d’inégalités homme-femme.
Des femmes de tête sans assise électorale à Mayotte
C’est d’ailleurs une meneuse qui aurait dû présider les débats. Ramlati Ali était retenue ailleurs, et c’est Hanima Ibrahima, la maire de Chirongui, qui la mettra en avant : « Première femme médecin mahoraise, première maire avec moi, première femme à présider la SIM… mais nous sommes des arbres qui cachent la forêt », lâchait l’élue. Une forêt nourrie par des emplois du temps pharaonique, entre les couches du bébé, la cuisine à faire, les courses, « les femmes majoritaires dans la fonction publique ont ainsi du mal à accéder à des postes à responsabilité. »
Un problème généralisé en France selon elle, « il n’y a pas d’égalité devant les mandats », qui vaut pour Mayotte de façon spectaculaire, « nous sommes dans la rue pour revendiquer et faire avancer les choses, mais ce sont les hommes qui siègent à la fin ! »
Cette injustice, la délégation aux droits des femmes tente de la réparer, « en agissant en faveur de l’accès aux postes à responsabilité, de l’égalité de salaires puisque à diplôme égal les femmes gagnent en moyenne 20% de moins, de la gestion de la vie personnelle et professionnelle et de la dignité », détaille Noera Mohamed.
Pas de chiffre pour la fonction publique d’Etat
Elle rappelait que l’égalité homme-femme devant les fonctions électives était inscrite dans la Constitution. C’est pourquoi le gouvernement a œuvré pour que les différences disparaissent dans la fonction publique d’Etat, en nommant en 2012 un haut fonctionnaire par ministère sur ce sujet.
Un travail est à mener sur les constats : « Principalement en raison de l’exclusion de notre territoire du partenariat INSEE et Délégation aux droits des femmes, nous n’avons pas d’état des lieux sur ces inégalités dans la fonction publique d’Etat », déplorait Noera Mohamed. Le CNFPT mené son enquête interne : « en 6 ans, nous sommes arrivés à une égalité totale des postes de direction, avec même 18 femmes pour 15 hommes », se réjouit son directeur local Alain le Garnec.
Le droit privé n’est pas exempt puisque l’égalité professionnelle est devenue obligatoire dans les négociations, les syndicalistes étaient d’ailleurs présents au colloque.
S’affranchir de la loi salique
Il faut remonter à la loi salique pour Marie-Françoise Lebon-Blanchard, et le problème s’avère plus profond qu’il n’y paraît. Cette ancienne disposition française avait pour but d’écarter les femmes de la transmission de la Couronne. « Elle symbolise la contestation de la femme au pouvoir, elles qui furent ensuite considérées comme ‘incapables majeures’ », ne pouvaient ouvrir un compte qu’avec l’autorisation de leurs maris, et n’eurent le droit de vote qu’en 1944. »
En investissant le poste de haut-fonctionnaire, Marie-Françoise Lebon-Blanchard « chaussait les lunettes de la parité », c’est à dire qu’elle veut voir dans les colloques au moins autant de femmes que d’hommes, et qu’il ne faut pas lui parler de « procès en illégitimité ».
Elle défend les quottas : « Lorsque je vois qu’il y a encore 9 points d’écarts entre les salaires d’un même poste, et qu’on me dit que les femmes ‘vont finir par y arriver’, je rappelle qu’il existe des amendes pour tout manquement désormais. »
Cheffe d’entreprise
Et s’attaque aux stéréotypes : « Comme les jouets et les livres roses pour les filles et bleus pour les garçons, qui n’existaient pas dans notre jeunesse, et heureusement, je n’aurait peut-être jamais découvert Jules Verne sinon ! »
Dans le privé, la loi salique a de toute évidence moins d’influence ! « En France, les femmes sont représentées à 60% dans l’entreprise, contre 20% en Union européenne. »
Des outils sont mis en place, comme la « Revue des cadres » au ministère de la Justice, « qui colle au plus prés de la réalité des femmes, en enregistrant leurs ambitions et leur envie de progresser. »
Un ministère de la Justice pousse le bouchon plus loin en publiant le « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe », qui invite à parler de ‘droit humain’, au lieu de ‘droit de l’homme’, de ‘création des entreprises par les femmes’, au lieu d’entreprenariat au féminin’, et pour la féminisation des titres, de « cheffe » eu lieu de « chef ».
A Mayotte, la successeur (pas de féminin) du représentant de l’Education nationale a voulu dès le départ se faire appeler vice-recteur, et non rectrice… Il y en a donc pour tous les goûts.
Et ici, la société matriarcale et matrilinéaire permet la transmission de la terre à la femme. Interpellée par le JDM sur ce sujet, la magistrate répondait « Moi je n’évoque que le droit, et il implique un héritage à égalité garçons-filles ». Un sujet qui reste compliqué à appréhender dans sa globalité.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte