Zakia Ahmed, de l’anthropologie au féminisme mahorais

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Zakia Ahmed attachée à la place des femmes et à Mayotte

Zakia AhmedC’est un frêle bout de femme, une de celles dont on a du mal à déterminer l’âge, mais pas plus de 25 ans, on pourrait dire. Pourtant, Zakia a bien 31 ans et est mère d’un garçon de sept ans. Originaire d’Hanyoundrou, elle est en 2e année de doctorat d’anthropologie.

Discutez avec elle et vous comprendrez tout de suite, que vous vous adressez effectivement à une future anthropologue. Difficile de revenir sur sa vie, son parcours, sans qu’elle porte le regard de l’adulte anthropologue sur ce parcours.

Ainée d’une famille de dix enfants, elle a surtout grandi à La Réunion. 1992, sa mère, déjà divorcée de son père, fuit un 2e mari polygame et amène ses deux filles à St-André. Une vie d’exil «mais au quotidien, à la maison, on parlait Shimaoré et on mangeait mahorais», se souvient-elle. «Les pratiques sont restées celles de Mayotte», revit-elle, avec un regard de professionnel sur cette période de sa vie.

Arrachée à ses racines, elle dit être très attachée à sa grand-mère maternelle. «Je perdais une amie», se souvient avec émotion.
Elle se souvient de l’école coranique, avec son oncle maternel comme foundi, avant d’intégrer un «madersa» (madrasa), «tenu pas les indo-pakistanais».
«Les femmes vivent à la Réunion, comme elles vivent à Mayotte. Les enfants sont confiés aux voisins quand on part faire des courses ou des démarches administratives. Par rapport à l’espace réunionnais, elles ont une connaissance de l’environnement naturel, où trouver telle plante médicinale, telle féliki, ou trouver du lait cru».

Intégrées et pas assimilées

Pour elle, ces mères de familles étaient totalement intégrées à la vie réunionnaise. Intégration et non assimilation. Elles ne se sont pas assimilées. Et pourtant, cette vie réunionnaise a forcément changé des choses dans leur vie.

En 1998, retour à Mayotte pour les vacances, «c’est le choc», résume-t-elle en riant. Autant «le départ pour Saint-Pierre était un arrachement à mes racines pour les implanter ailleurs», autant le retour à la terre ancestrale perturbe la jeune adolescente. Ce voyage à La Réunion a suscité beaucoup de questions à l’enfant qu’elle était. Avec le recul, elle a compris le communautarisme des mahorais à La Réunion: «C’est pour un mieux vivre, un mieux être».

Zakia Ahmed avait toute sa place dans les Journées du savoir de Tsingoni, pour montrer l'exemple d'un parcours universitaire long
Zakia Ahmed avait toute sa place dans les Journées du savoir de Tsingoni, pour montrer l’exemple d’un parcours universitaire long

Mais Mayotte et ses règles concernant les filles et les garçons gênaient la jeune fille. «Je n’étais pas accoutumée au code culturel ou vestimentaire de Mayotte», sourit-elle. Elle voulait alors retourner à La Réunion. Là-bas, malgré tout, même si les mères se sont «intégrées», à bien des égards les enfants et la famille n’étaient pas confrontés aux mêmes réalités. Zakia n’a pas compris, qu’être une femme détermine les habits mais aussi, ce que l’on peut ou ne peut pas faire.

Les « femmes seules »

«Maman est partie parce que mariée à un homme polygame. C’est la fuite des problèmes conjugaux. Ces femmes veulent aussi une meilleure scolarité pour leurs enfants». Elle raconte une époque mahoraise, les années 1990, ou beaucoup de femmes mahoraises ont immigré à La Réunion. Elles étaient, ce que l’on a appelé ici «les femmes seules». Zakia, a redoublé sa classe de CP à Saint-Pierre, parce qu’elle ne parlait «pas un mot de français en arrivant à la Réunion», avant de devenir une bonne élève… «une élève moyenne», corrige-t-elle modestement. Une élève qui avait à la maison, la vie d’une jeune fille mahoraise: «J’avais des responsabilités domestiques, pas de temps nécessaire pour me plonger dans la scolarité.»

Les mamans ne se rendent pas compte qu’il faut du temps pour la scolarité. Je pense qu’inconsciemment, socio-culturellement, on se dit que la fille va trouver un homme pour subvenir à ses besoins si elle ne réussit pas l’école».

L’amour de Mayotte

Zakia aime l’école et aime sans doute très fortement cette île de Mayotte, qu’elle ne cesse d’explorer à travers ces recherches.

En master d’anthropologie, elle choisit de s’intéresser à «la place de la femme dans l’univers religieux à Mayotte» à travers «le patrossi, le Moina Insa et le troumba». Et puis ce doctorat, réalisé avec l’Inalco* sur «la pratique de la grossesse et les traitements thérapeutiques lors de la maternité des femmes mahoraises et comoriennes». Pour ces deux recherches, la doctorante part à la découverte de son île natale mais c’est aussi pour mieux connaitre celle qu’elle considère comme son «amie», sa grand-mère maternelle.

Zakia Ahmed attachée à la place des femmes et à Mayotte
Zakia Ahmed attachée à la place des femmes dans la société mahoraise

«Je voulais connaître le repère socio-culturel, les représentations symboliques qui soutenaient la position assignée à la femme». La femme, et surtout la femme mahoraise, sujet important dans ses études pour elle qui se considère féministe, même si les mots ont du mal à sortir de la bouche. Elle en rit avant de concéder qu’il faut «oser le féminisme mahoro-comorien».

Une femme face aux normes de la société

Le féminisme est différent d’un pays à l’autre et comment définir ce féminisme mahoro-comorien? «C’est de pouvoir choisir», dit-elle. Avoir le choix de faire ou de ne pas faire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer. C’est la vie même des Mahoraises et des Mahorais de sa génération. Des personnes complètement faites de deux cultures et qui jonglent entre les deux.

Zakia ne se sent pas tiraillée. Dans une société ou la place de chacun est déjà prédéfinie à l’avance, il n’est pas facile de s’avouer féministe pourtant les femmes ont une place particulière dans sa vie et dans ses études.

Elle parait tellement «moderne», dans sa manière d’être, dans sa liberté et paradoxalement, elle dégage, une certaine idée de la «mahorité», celle qui appelle ses tantes «mes mères», comme on le fait en Shimaoré. « J’ai beaucoup souffert de voir mes mères et les femmes de manière générale être limitée. Tu es une fille et donc tu ne peux pas faire ça. Point.» Elle rit en se souvenant du sentiment de révolte que ça provoquait en elle: «Ils ont ouvert la boite de Pandore!»

Des études longues

Est-ce en réaction à ces contraintes, imposées aux femmes, qu’elle a choisi de faire des longues études? Peut-être. Une transgression, pour arracher la liberté. Elle cite Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue et féministe qui considère que le masculin s’est toujours interrogé sur le féminin par rapport à cette possibilité qu’a la femme de pouvoir créer du même et du contraire, par rapport à l’enfantement d’une fille et d’un garçon.

Le fait pour l’homme de ne pas comprendre l’origine de la vie, c’est un pouvoir du féminin et l’homme veut pouvoir le contrôler. Ça explique l’assignation de la femme à l’espace domestique. A partir de là, l’humain a créé sa dichotomie. » Des réflexions poussées sur la place et le rôle de la femme, toujours inspirées par cette grand-mère, à qui elle n’a pas pris le temps d’expliquer son travail, ses recherches.

Zakia, sans doute une des premières Mahoraises à entreprendre des études doctorales en anthropologie, surprend par son calme et son apaisement. Celle qui a gardé ses cheveux naturels, déclare assumer sa «négritude». Loin de dénigrer les pratiques mahoraises, elle s’en inspire, et les interroge.

K.A
www.lejournaldemayotte.com

*Inalco : Institut National des Langues et Civilisations Orientales

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