« La majorité des Mahorais ne connait pas son origine », lance Insa de Nguizi en introduction de son allocution sur « Mayotte espace insulaire aux identités plurielles ». C’était la première intervention du Grand Séminaire de Mayotte. Pas de grande révélation, mais une question, « qui est Mahorais ? », qui résonne fortement dans une actualité où la réponse justifie des « décasages ».
L’intervention prend donc toute sa place dans la volonté d’un des instigateurs du GSM 976 : « Se dégager de la violence de l’actualité pour nourrir le débat. »
Comment savoir qui est mahorais quand on se penche sur le métissage originel du peuplement de l’île… Le premier à poser le pied sur le sable fut-il austronésien d’Indonésie, comme peuvent le laisser penser les vestiges de râpes à coco et les pirogues à balancier, ou fut-il navigateur africain, préférence de la communauté scientifique qui s’appuie sur les langues et la matrilocalité*. Option que rejoint notre conférencier.
L’esclavage non assumé
Mayotte fut terre de migrations, dont la première de Perses d’Arabie du IX au XIIIème siècle, puis arabo shirazienne ensuite, aboutissant sur un métissage surprenant puisqu’en 1848, lors du premier recensement effectué lors de l’arrivée de la France, 21% des habitants sont Arabes, 18% Sakalaves, 46% esclaves et 15% Mahorais.
Les shiraziens s’imposent donc comme les premiers colonisateurs de l’île, y apportant la religion musulmane. La société est hiérarchisée sous forme pyramidale, avec au sommet les nobles issus de la colonisation, à la base, les esclaves, « les mahorais, peu nombreux, essaient d’accéder à la classe supérieure, et se revendiquent même encore maintenant, d’un aïeul arabe ou perse. Reconnaître son africanité, c’est assimiler sa descendance à la condition d’esclave. Un passé traumatique que les mahorais ne sont pas en mesure d’assumer. »
Alors ? Africain ou arabe, le Mahorais ? « La transmission du pouvoir par les femmes que nous connaissons encore aujourd’hui est incompatible avec la religion musulmane. » Chacun en tirera donc sa conclusion…
L’exclusion par la tradition…
En tout cas, Mayotte est plurielle, et Daroussi Ahamadi aimerait que l’on s’y penche un peu plus. Ce deuxième intervenant, surnommé « Malembé » (pas sérieux), l’est tout à fait lorsqu’il se moque de la marque de fabrique du petit français « nos ancêtres les gaulois », « alors qu’il s’agit de celtes. » Le ton est donné, le géographe qui boucle sa thèse, veut remettre les chercheurs, dont lui, au travail : « Je suis de Ouangani, et je ne sais pas qui sont mes ancêtres, à 45 ans ! »
Cela vaut pour l’islam pratiqué ici, « beaucoup de musulmans ici ne reconnaissent pas le caractère islamique des confréries. On nous situe l’origine du côté du chef Maanrouf, alors qu’elle vient sans doute de Tunisie. Or l’islam historique est une religion de paix. »
Les traditions qui se veulent historiques attribuent la fonction d’imam de père en fils, « certains en seront donc toujours exclus », une gérontocratie qu’il critique, « les jeunes souffrent de cette domination des anciens. Et nous reproduisons cette sélection sur les listes électorales, ou dans les milieux associatifs… Est-ce une manière paisible de construire la société ? »
Ou une tradition inclusive… il faut choisir
Daroussi poursuit dans son rôle d’agitateur de consciences : « On me dit que l’identité mahoraise passe par le village. Mais quand je demande si c’est celui de la lignée paternelle ou maternelle, cette seule question est vécue comme un outrage ! »
Il note que la société mahoraise est traversée aujourd’hui par « un pluralisme de crise » : « En fonction de ma nature, islamo conservateur ou djaoula, je trie mes invités. C’est une des causes des phénomènes de violence. Nous vivons une crise communautaire, alors que nous avons toujours intégré les étrangers, l’invité a une place de choix traditionnellement ici. »
L’occidentalisation de la société n’y est pas pour rien, « tout le monde court après un emploi. Si on en est exclu, on devient marginal. »
Les travaux de préservations des cultures de l’UNESCO pourraient aider, « mais si ils favorisent l’inter culturalité, aucune musique ou langue mahoraise n’y est inscrite. »
La richesse de Mayotte, ce n’est pas son industrie, « mais c’est l’humain. Il faut gagner la bataille de l’identité matérielle et immatérielle, et des fonds pourront alors mobilisés pour la recherche qui permettra de nous connaître. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* L’époux vient habiter dans la maison de sa femme