Avec cette conférence, l’AFD suit un des axes de son Cadre d’intervention régional 2016-2020 : définir un nouveau modèle économique. Pour tenter de cerner un modèle de développement adapté, quatre thèmes étaient proposés : la croissance inclusive, la transition énergétique, la gestion des déchets et la transition institutionnelle et la maitrise du foncier. La clef du développement pourrait donc se trouver dans une de ces visions, voire dans un peu des trois.
En tout cas, il faut inventer quelque chose. Daoulab Ali Charif, Chargé d’études économiques à l’IEDOM Mayotte, rappelait les fondamentaux qu’il avait livré il y a quelques mois : un taux de croissance le plus élevé de France, avoisinant les 7% porté par la consommation des ménages et des administrations, avec un PIB (richesse) le plus faible, 8.000 euros par habitant, contre 15.000 euros en Guyane, et un taux de chômage record, « 38.000 personnes cherchent un emploi, un taux qui a cru de 12,7% en 2015, et même de 56% en 2014, de plus en plus de chômeurs officialisent leur situation. »
Croissance et inclusion peuvent-ils faire bon ménage ?
La morosité des chefs d’entreprise, liée au manque de visibilité, est aggravée par le déficit de consommation des programmes en cours, « seulement 11 millions d’euros du Contrat de projet en 2015, quand il faudrait en consommer 65 millions par an. D’ailleurs le CPER précédent n’a été consommé qu’à moitié. » Arrêtons donc les effets d’annonce sur les sommes colossales débloquées par la France. Et pour l’économiste, 2016 reste une année de fortes incertitudes.
Face à une croissance essentiellement mue par la consommation, et une économie fermée qui ne fait qu’importer sans développer de levier de croissance d’un côté, et de l’autre, une seuil de pauvreté sous lequel vit prés de 80% de la population, Victor Bianchini, Maître de conférence au CUFR, va proposer des pistes pour tendre vers une croissance inclusive, qui n’exclut plus les populations marginales.
Un modèle scolaire inadapté
Prenant le contrepied de beaucoup d’économistes qui, comme Simon Kuznets, pensent que la croissance à long terme permet de réduire les inégalités, il fait observer que Mayotte à elle seule, prouve le contraire, et appelle à différencier croissance et redistribution des revenus. Premier postulat.
Deuxième postulat, « la croissance reste nécessaire, « il faut un gâteau », mais pas suffisante, « il faut le partager. »
A Mayotte, (et pas seulement) la croissance exclut beaucoup de monde. Et si le marché du travail est facteur d’échec, l’éducation est la principale responsable pour Victor Bianchini : « 80% des diplômés du supérieur à Mayotte décroche un emploi. » Il faut donc élever le niveau, « mais sans qualification, on ne peut accéder au diplôme. Or, 7 à 8 scolaires sur 10 n’ont pas les bases en maths et en français. On peut dire que le modèle scolaire est inadapté, avec un problème sur la qualité de l’enseignement lié à la politique mise en œuvre par le gouvernement. » Il le répètera à plusieurs reprises, « l’Etat doit mettre le paquet sur l’éducation. »
D’autre part, l’insécurité de l’île impacte notamment les cadres et les chefs d’entreprise, qui préfèrent quitter l’île, produisant un solde migratoire officiel négatif. C’est la fuite des cerveaux.
Flou sur les programmes de développement CPER et européens
Conséquence du double déficit de qualification et de l’échec sur le marché du travail, l’économie informelle fait florès à Mayotte. Aucune statistique ne permet de la chiffrer. « Il faut aussi la voir comme une ressource économique non négligeable. » Le micro-crédit permet de formaliser les activités des souscripteurs, « mais il faut aussi renforcer l’accompagnement du créateur d’entreprise, et faire évoluer l’environnement réglementaire comme le statut, critiqué mais utile, d’auto-entrepreneur. »
Autre secteur pointé du doigt par l’universitaire, les programmes CPER et fonds européens : « On n’y voit pas très clair. Les projets sont globaux, pas assez de micro-économie, et qui pêchent par manque d’encadrement. Mayotte 2025, en pratique, ça donne quoi ? ! »
Malgré sa jeunesse, Victor Bianchini appelle à la patience, « c’est quand même le département le plus jeune de France, et tous les projets engagés n’ont pas encore porté leurs fruits. »
Le représentant de l’Adie reprenait le concept de croissance inclusive en la déclinant aux trois secteurs potentiellement leviers de croissance : la pêche, l’agriculture et le tourisme.
Victor Bianchini concluait sur un triptyque gagnant : « l’éducation-l’emploi et la coopération régionale. Nous avons une génération sacrifiée. Il n’y aura pas de la place pour tout le monde sur le marché de l’emploi, mais pour aller ailleurs, il faut avoir le niveau. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte