« Le 9 juin 2016, mon fils a fait parvenir sa lettre de contestation auprès du service des impôts, en recommandé avec accusé de réception. Le 29 juillet, il a reçu un avis à tiers détenteur* émanant de l’inspecteur divisionnaire des Finances publiques, lui indiquant que le solde de sa taxe d’habitation serait prélevé sur son compte bancaire dans la limite des quotités disponibles. Et le 8 août, il a reçu un courrier du responsable du service de la Direction Générale des Finances Publiques, lui indiquant que sa situation était actuellement en cours d’examen et nécessitait un délai supplémentaire. Il s’apprête à contester l’avis à tiers détenteur, sachant que le service des impôts a déjà commencé à effectuer des prélèvements… »
Des témoignages comme celui-ci sont légion, sans compter ceux qui n’ont pas de clavier, et qui se rendent chaque jour aux services de impôts pour plaider leur cas. « Je n’ai pas assez d’argent sur mon compte, comment je vais faire ? », nous interpelle l’un d’entre eux.
Propriété foncière et élévation du statut social ne vont pas forcément de pair à Mayotte. La tradition mahoraise de possession de la terre se heurte au droit commun de règlement des impôts fonciers, exacerbés par une valeur locative quadruple de la métropole, un pourcentage assassin de la part de certaines mairies, et un cadastre que n’arrivent pas à déchiffrer les services fiscaux.
On remarquera que les mairies déficitaires qui n’ont pas suivi les préconisations de relèvement des taux des impôts de la part de la Chambre régionale des comptes, voient leurs budgets réglés par le préfet, qui parvient à le rééquilibrer sans trop faire trinquer les contribuables : le taux pour la commune de Tsingoni sera de 35% au lieu des 42% préconisés par la Chambre.
Pendant ce temps, les contribuables sont soumis aux échéances de paiement, en voyant fondre leur compte en banque.
Jean-Marc Leleu, le directeur de la Direction Régionale des Finances Publiques, s’explique : « Ils peuvent déposer une réclamation, qui bloquera automatiquement le recouvrement. Mais elle doit être recevable. Or, la contestation d’un taux d’imposition est un problème de démocratie locale, nous ne sommes pas des législateurs. Il n’est pas de notre fait, et ne peut être suspensif du paiement des impôts. » Dans ce cas, l’impôt de l’année précédente non réglé, sera débité.
Nombre croissant de plaignants
Pour que la réclamation soit valable, elle doit porter sur deux points : la contestation de l’évaluation de la surface habitable, ou la difficulté financière du contribuable. « Dans ce deuxième cas, nous pouvons proposer des aménagements, comme un échéancier. Beaucoup de personnes sont dans ce cas. »
Pour effectuer toute démarche, il faut adresser un courrier sur l’adresse mail inscrite sur la feuille d’impôt ou se rendre aux services de la DRFIP rue de l’hôpital. Il y a d’ailleurs foule devant le portail tous les jours, « nous allons communiquer sur les moyens alternatifs pour contacter nos services. »
A Koungou, les victimes de la flambée des taux se sont rassemblées en collectif, en sollicitant les conseils d’un avocat, qui dit ne plus pouvoir assurer face au nombre croissant de plaignants. Lors de leur réunion jeudi soir à Kangani, ils ont décidé de rallier le Collectif du conseiller départemental Chihabouddine Ben Youssouf. Ce dernier demande un arrêt de tout imposition pendant 30 ans, histoire de tout remettre d’équerre, « l’Etat devra compenser. »
Par la volonté du peuple
Son dossier a bien été transmis à Michel Sapin, ministre des Finances, qui en a accusé réception… Sans autres réponses. Son coût ne doit pas y être étranger, « Je l’évalue à 100 millions d’euros pas an pour l’Etat », nous apprend-il.
« Les élus sont au pouvoir par la volonté du peuple », rappelle Chihabouddine Ben Youssouf qui en est un, « plus nous serons nombreux à faire remonter nos problématiques, meilleurs seront les impacts. » Pour justifier la traversée du désert fiscal, le conseiller départemental d’opposition se base sur les seuls 60 titres de propriété débloqués par l’Etat depuis le décret de 2009 sur la Zone des pas géométriques, et sur les 22.000 titres domaniaux en souffrance.
Il se heurte toujours à la démarche concurrente des autres élus, parlementaire, conseillers départementaux et maires de Mayotte, qui ont engagé dans l’unité, une négociation avec l’Etat. « La démarche dérogatoire de Chihabouddine sur une fiscalité qui a déjà intégré le droit commun ne trouvera l’approbation d’aucun gouvernement », critique l’un d’eux.
Le conseiller départemental a donc sollicité l’écoute bienveillante de l’ensemble de la classe politique nationale, « de Mélenchon à Marine Le Pen », et a demandé à rencontrer la ministre des Outre-mer à la fin du mois.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Si la somme due aux Impôts n’est pas réglée par le contribuable, l’avis à tiers détenteur permet à l’administration fiscale de demander à un tiers (le plus souvent, sa banque) le paiement de la somme due