Il est revenu en juin du grand nord de la métropole et n’a pas changé, Ibrahim Boinahery, après avoir servi à la Direction régionale de l’Institut National de la Statistique et des Études Economique de Lille. De retour à Mayotte pour installer le service statistique du commissariat de police, il continue à pointer l’inaction envers les 101ème département : « En dehors du vice-rectorat, aucun service déconcentré de l’Etat ne s’est doté d’un service statistique », déplore-t-il.
Et pourtant, les données sont a minima utiles au débat, « lorsque les syndicats évoquent un problème d’attractivité, ils n’ont pas le nombre d’agressions ou de vol impliquant des agents de l’Education nationale », mais sont surtout indispensables aux prévisions de développement du pays, « sans elles, on avance au coup par coup. »
Le statisticien prend l’exemple de l’équipement (DEAL) : « Si ces services comprenaient l’intérêt de chiffrer le nombre de délivrance annuelle de permis de conduire, on pourrait prévoir les infrastructures routières nécessaire, l’accroissement du nombre de logements, etc. On s’aperçoit actuellement d’un glissement des habitants de Mamoudzou vers Tsararano et Dembéni, mais personne ne l’a étudié, et on se demande pourquoi il y a des bouchons le matin ! »
Elément incontournable des négociations
La déficience de statistique peut donc être un handicap au développement : « Nous n’évaluons pas les politiques de l’Etat. Résultat, à chaque fois que l’on se félicite d’une avancée pour Mayotte, c’est en fait à enveloppe constante globale. » Ibrahim Boinahery illustre son propos avec l’allocation de rentrée scolaire : « Le fléchissement du nombre d’enfants scolarisés en métropole a permis de réaffecter le surplus à Mayotte. »
Et avec un thème cher aux syndicalistes, l’indexation : « Les congés administratifs versés tous les 3 ans aux résidents, se muent en congés bonifiés versés tous les 5 ans, avec une prise en charge partielle du billet d’avion. »
Il va encore plus loin, « l’Etat prend les chiffres qui l’intéresse », ce fut le cas par exemple sur la révision de la dotation de fonctionnement région proposée la semaine dernière par Manuel Valls qui se basait sur une estimation de population non actualisée. « C’est pourquoi tous les DOM se dotent de leurs services statistiques pour contrer les chiffres de l’Etat. La production statistique est devenue un élément incontournable des négociations. On ne peut pas arriver dans les ministères à Paris les mains vides, quand en face, ils ont des chiffres solides. »
« L’Etat profite de la médiocrité »
Le désengagement de l’Etat vis à vis de Mayotte a été confirmé par la Cour des Comptes, et partiellement reconnu par le premier ministre Manuel Valls qui s’est engagé à un rattrapage. Sans ce rapport d’ailleurs, les élus ne parvenaient à aucun résultat. Et celui qui fut aussi maire de Tsingoni demande que « la population ait conscience de l’importance du vote, et des élus qu’elle va choisir. En 2014, le directeur de l’AFD avait publiquement donné le nom des communes qui marchaient bien. Mais aux élections suivantes, tous ces maires furent battus », lance-t-il dans un grand rire en s’englobant dans la mésaventure, et compte d’ailleurs se présenter aux législatives dans le sud. « L’Etat en tire une conclusion très simple et constate que c’est ceux qu’il finançait le plus dont la population ne veut pas. Dans les ministères, ils se frottent les mains, ils profitent de cette médiocrité. »
Surtout que le vivier de statisticiens serait fécond à Mayotte, « des masters, des DUT de statistiques, à qui il faut donner des perspectives. »
Une petite phrase dont on ne sait pas trop si elle a été réellement prononcée par Nicolas Sarkozy, lui revient en mémoire : « ‘La départementalisation de Mayotte ne doit pas couter un euro à la France’, c’est réussi ! Les élus doivent être force de proposition. Je propose à ce sujet que se tienne une ou deux fois par an, une conférence des élus de Mayotte. Outre que cela leur fournira de la matière, la population jugera sur pièce les élus les plus motivés. »
« Les stats, c’est comme la minijupe, ça donne des idées, mais ça cache l’essentiel », avait déclaré le général de Gaulle. A Mayotte, il faudrait déjà pouvoir avoir des idées…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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