La disparition annoncée du «jardin mahorais» 

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Ananas, embrevades, bananiers, jaquiers... Un bel exemple de jardin mahorais à Mtsahara, chez Tanafou Ya Hazi (Photo: DAAF)
Ananas, embrevades, bananiers, jaquiers... Un bel exemple de jardin mahorais à Mtsahara, chez Tanafou Ya Hazi (Photo: DAAF)
Ananas, embrevades, bananiers, jacquiers… Un bel exemple de jardin mahorais à Mtsahara, chez Tanafou Ya Hazi (Photo: DAAF)

Si beaucoup de choses sont à réaliser et à organiser dans l’agriculture mahoraise, la «ferme Mayotte» a déjà de l’allure, comme le rappelle la nouvelle lettre mensuelle de la DAAF*. Dans notre département, près de 55.000 personnes travaillent la terre et produisent plus de 60.000 tonnes de denrées agricoles chaque année. Ces fruits et ces légumes représentent ainsi 80% de nos besoins en produits maraichers.

Pourtant, on ne trouve pas (encore) à Mayotte beaucoup de grandes exploitations, de vastes champs qui produisent un seul et même produit. Car notre modèle agricole est particulier, hérité de notre histoire et des savoirs ancestraux. Il s’agit du «jardin mahorais».

Sur une même parcelle, différentes cultures compatibles forment des strates, des étages de productions différentes. Ainsi, on peut trouver de la patate douce qui rampe sur le sol, des plants d’ananas tous les un ou deux mètres, un pied de bananier tous les 3 mètres, le tout entouré de cocotiers, de manguiers ou de jacquiers. On peut aussi avoir d’autres associations, comme des légumes, du manioc et du maïs.

«Les cultures sont réparties sur le terrain en fonction de la potentialité» des sols, de la lumière que les plantes vont recevoir «et des besoins de la famille», note la DAAF qui parle de «diversité horizontale et verticale du système de production».

Un modèle écologique

Ces associations de plantes ne sont jamais le fruit du hasard. Elles représentent des avantages que les agriculteurs mahorais ont intégré depuis longtemps. Ainsi, associer les bananiers et le manioc est une bonne chose: le manioc freine la croissance de la banane qui ne fait pas de rejets. Ces combinaisons permettent aussi d’étaler la charge de travail dans le temps, d’éviter l’érosion des sols et d’offrir une plus grande résistance au manque de pluie.

Semis-agricultureAutre avantage, la concentration de chaque espèce étant faible, les maladies sont plus rares. On peut donc se passer de traitements chimiques. Mieux, parfois le voisinage des espèces favorise une «autoprotection» des plantes.

Un jardin productif

Le «jardin mahorais» apparaît donc comme un modèle d’agriculture respectueuse et la DAAF affirme aussi, et c’est une surprise, que ce type de plantation multiple est productif qu’une monoculture. Là encore, l’explication se trouve dans les différents étages des cultures. Si chaque espèce était cultivée seule, les parcelles devraient être plus grandes d’un tiers pour produire autant.

De même, le «jardin mahorais» rapporte bien plus à l’agriculteur, qu’une seule culture sur la même parcelle. Seuls les mangues et les litchis sont plus intéressant financièrement.

La morale de cette étude est donc que «le système agro-écologique et agro-forestier du ‘jardin mahorais’ est plus productif qu’en monoculture, beaucoup plus rustique, protège l’environnement et nourrit toute la famille agricole», explique la DAAF… Mais ce système idéal ne fonctionne plus.

La disparition de l’héritage

Le «jardin mahorais» était en effet un modèle rêvé pour une population peu nombreuse. Autrefois, chaque parcelle cultivée vivait en effet des cycles : après un défrichage au brûli, la première année de plantation était consacrée au riz et au maïs, la seconde au manioc et aux ananas, la 3e aux bananiers… Après 5 ans d’exploitation, la parcelle redevenait une jachère pour 10 ou 15 ans.

Destructions des plants sauvages de manioc à Majimbini, en février dernier
Destructions des plants sauvages de manioc à Majimbini, en février dernier

«Avec près de 300.000 habitants, dont beaucoup sont encore très attachés à la terre, le système ne fonctionne plus», constate la DAAF. «La jachère est quasi abandonnée, les sols s’épuisent, les rendements chutent et l’équilibre écologique est rompu».

Mayotte n’aurait donc pas d’autre choix que d’évoluer vers une agriculture plus intensive qui resterait néanmoins écologique, en apportant des engrais organiques et en organisant les parcelles pour permettre une forme de mécanisation. Mais il faudrait que la population agricole considère la campagne comme un métier et non comme une simple occupation… Sans parler des blocages liés indivisions ou aux spéculations foncières.

Ce «jardin mahorais», autrefois si prolifique, est devenu un lieu de «prédation à court terme», où les cultures de manioc et de tomates se succèdent… jusqu’à prendre la place des grande arbres. Pour la DAAF, ce triste scénario est bel et bien la tendance actuelle «et rien n’est clairement proposé pour l’enrayer.» Nous assistons donc peut-être, sans le savoir, à la disparition d’un peu de notre patrimoine rural.

RR
www.lejournaldemayotte.com

*DAAF : direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt

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