Une série d’images est arrivée dans les boites mails des rédactions de Mayotte cette semaine. Des carcasses de voitures, des éléments de salle de bain, des déchets en tous genres… sur fond de palmiers et de lagon. Ces photos de Marc Allaria étaient envoyées par ATOLL. L’association lançait une nouvelle alerte sur une décharge sauvage à Mbouanatsa, au sud de Grande Terre, à quelques kilomètres de Mzouazia.
L’histoire n’est pas nouvelle mais elle semble ne jamais devoir se terminer. «Nous avons lancé la première alerte en août 2015», se souvient Marc Allaria. «Sur un terrain vague de Mbouanatsa, on avait découvert une très grosse décharge sauvage, avec des épaves de voitures, des machines à laver… Visiblement, des gens profitaient de l’endroit pour se débarrasser de tout ce qui pouvait les encombrer».
La mairie de Bouéni est donc sensibilisée à la question mais ne va pas réagir avant le début de la saison des pluies. Problème: cette zone de non-droit environnemental est située au bord du littoral. «Les premières carcasses étaient à 5 mètres de l’eau. Dès qu’il pleuvait, tous les écoulements et toutes les pollutions comme les métaux lourds partaient directement dans le lagon», explique Marc Allaria.
Le corail noircit
Les conséquences pour la nature sont facilement imaginables sauf qu’ici, elles étaient aussi visibles et mystérieuses. Le corail a ainsi évolué d’une drôle de façon. On connaît le corail qui blanchit lorsque les eaux sont trop chaudes. A Mbouanatsa, le corail est devenu… noir. «Ce ne sont pas des algues ou des phénomènes que l’on a déjà observés. Nous n’avons pas d’explications… ni la preuve formelle que ce sont les pollutions de la décharge qui l’ont provoqué», précise Marc Allaria.
La zone a finalement été nettoyée, l’entreprise Enzo est venue faire place nette et rendre la parcelle polluée à la nature.
Mais cette année, l’histoire se répète. Fin août, de nouveau, le grand n’importe quoi. «On s’est retrouvé avec la même situation sauf que cette fois-là, il y avait des agents de la mairie qui faisaient le tri des choses jetées… C’était une décharge sauvage avec tri sélectif ! Un comble», s’insurge l’association. Et une partie des déchets a même été brulée sur place. Le pire des scénarios.
Connaître les pollutions
Cette fois encore, la mairie assure qu’elle va faire nettoyer l’endroit. Mais on peut craindre que cette fois encore, la pluie ne soit plus rapide que les opérations de déblaiements. Du coup, ATOLL prend les devants et veut pouvoir disposer de données sur l’impact éventuel. L’association va demander à l’Agence régionale de santé (ARS) de réaliser des analyses de l’eau du lagon à proximité, avant, pendant et après la saison des pluies, pour connaître les pollutions qui affectent le platier corallien.
Alors que les messages de protection de l’environnement n’ont jamais été aussi nombreux, les comportements irresponsables impactent toujours fortement notre nature, en pleine connaissance de cause. Car tous ceux qui ont abandonné leurs déchets de toutes sortes à Mbounatsa venaient sans nul doute de bien plus loin pour profiter de la décharge sauvage. «Le sentiment d’impunité est total sur les atteintes à l’environnement», se désole Houlam Chamssidine, le président de Mayotte Nature environnement (MNE).
Des zones reboisées ont été détruites
«Bien sûr, il y a les décharges sauvages, mais il y a aussi les gens qui s’accaparent l’espace public, qui coupent la forêt pour faire des champs ou des chemins sans aucune autorisation ou déclaration. On a les brûlis que les paysans n’arrivent plus à contrôler et qui font flamber des zones naturelles ou le braconnage de tortues… Cette semaine, des braconniers ont encore été surpris et les tortues ont pu être relâchées.»
MNE dénonce aussi le traitement réservé aux zones qui ont été revégétalisées avec l’aide de fonds européens… L’association affirme qu’une grande partie a été victime des brulis… y compris le panneau qui informait que «l’Europe investit pour nous»!
250 plaintes
«Ce qui nous inquiète, c’est que les gens savent que ces incivilités ne sont pas punies. Et nous ne pouvons malheureusement pas dire le contraire. Nous avons déposé environ 250 plaintes pour des atteintes à la nature. Quasiment aucune affaire n’a été jugée. Et quand c’est le cas, rien n’est fait pour que la décision prise soit respectée. On a tous compris que les autorités ont autre chose à faire que de s’occuper de ça…» regrette Houlam Chamssidine.
MNE a transmis un mémorandum à Ericka Bareigts, la ministre des Outre-mer, lors de son passage dans notre département, sur ces questions.
Au moment où la justice se dote de tribunaux maritimes pour juger des délits en mer, les moyens mis à la disposition de l’institution judiciaire et des forces de sécurité pour les atteintes à l’environnement mériteraient d’être sérieusement et rapidement réévalués.
RR
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