Passé à la trappe de la visite ministérielle le 30 septembre, ce colloque du Centre national de la fonction publique territoriale, vaut qu’on s’y arrête. Eric Batailler, Directeur adjoint de la DEAL y dressait le cadre légal de la politique foncière, et en face, Ismaël Kordjee, Directeur des affaires foncières et du patrimoine du conseil départemental, déroulait l’historique des lois sur la propriété foncière à Mayotte.
D’un côté donc la loi qui réglemente la cession, payante (décret du 9 septembre 2009), des parcelles située en Zone des 50 Pas géométriques (ZPG), bande de terrain d’une largeur de 81,20m mesurée à partir le la limite de la marée haute. De l’autre, « un jeune département, où l’état civil est établi depuis peu (pas encore totalement, ndlr), imprégné des règles traditionnelles héritées de coutume africaines et du droit musulmans », comme le précise un extrait de la mission sénatoriale présidée par Michel Magras.
L’un des points les plus sensibles rappelé par Ismaël Kordjee, se niche dans deux décrets du 9 juin 1931 et du 14 novembre 1934, qui rendent facultative pour les mahorais et obligatoires pour les européens étrangers, l’immatriculation foncière aboutissant à la délivrance d’un titre de propriété : « De nombreuses mutations effectuées sous seing privé sont devenues caduques parce qu’elles n’ont pas été enregistrées, ni publiées. »
Rachat des titres et redistribution à l’occupant
La mission sénatoriale a donc tenté de proposer de légiférer l’inextricable, ce qui vaut de s’y arrêter. Ce qu’a fait le CNFPT. Les sénateurs envisagent une période de transition de 10 ans.
Elle préconise en premier lieu la création d’une Commission de l’urgence foncière, une CREC bis, la fameuse commission de révision de l’Etat civil qui avait accéléré la remise à jour des noms et prénoms des habitants. Elle serait présidée par un magistrat, et permettrait de racheter les titres et de procéder à une redistribution globale sur la base de l’occupation des terrains sur une période de 10 ans.
Pour soutenir le Département de Mayotte, un renforcement et une requalification des moyens humains et matériels sont demandés pour la Direction des Affaire foncières et du patrimoine (DAFP), avec « davantage de personnels d’encadrement. »
Des ZPG transférés au département
L’autre recommandation est carrément révolutionnaire puisqu’elle propose à l’Etat de transférer des zones urbanisées de la ZPG, vers le domaine du Département. L’objectif est double : « Donner au Département la pleine maîtrise pour définir une politique foncière à l’échelle du territoire, et unifier les procédures de régularisation alors qu’elles sont aujourd’hui distinctes selon que le terrain appartienne à l’État ou au Département. »
En outre, la réforme ne réussira « qu’à la condition de protéger les propriétaires contre les occupations illégales (…) C’est pourquoi nous préconisons d’ériger en délit la non-exécution d’une décision judiciaire d’expulsion. » Une deuxième révolution.
Les bangas soumis à autorisation
Des constructions illégales sur lesquelles il convient aussi de légiférer en amont, selon le rapport : en soumettant à un régime de déclaration préalable la construction des « bangas », par dérogation à l’article R. 421-2 du code de l’urbanisme. « En donnant un motif légitime d’inspection des constructions, cela faciliterait l’intervention des forces de l’ordre dans la lutte contre les occupations illicites et, au-delà, contre l’immigration clandestine. »
Des propositions innovantes, soumises par la mission sénatoriale en juin, et sur lesquelles le conseil départemental qui a la maitrise de la régularisation foncière, ne s’était pas encore prononcé déplorait le sénateur Thani Mohamed devant les médias. Il faut dire qu’il n’est pas une conférence sur ce sujet où des suspicions de magouilles au sein du département, touchant élus et cadres, ne soient pas sous-entendues ou ouvertement exprimées, comme le fit Jacques-Martial Henry à Dembéni à la matinale de l’Agence française de développement.
En attendant, le développement de Mayotte reste bloqué aux bons vouloirs de ceux qui sont payés pour que ça fonctionne.
L’avis du département enfin connu
Pour exemple, ce travail de la mission sénatoriale a permis aux polynésiens d’envisager des avancées conséquentes, comme le soulignait un élu présent à l’ACCD’OM.
Thani Mohamed Soilihi ne reste pas inactif : « J’ai travaillé avec le ministère des Outre-mer sur des amendements à déposer pour la Création de la Commission de l’urgence foncière, annexé à la Loi Egalité réelle. » S’il est accepté, toutes les mesures de rachat et de redistribution de titres pourront s’opérer.
Quant aux plaintes contre la non-exécution d’une expulsion, pour s’appliquer, « la mesure doit être nationale, car c’est du pénal. » Là encore, une position forte des élus du département pourrait initier le débat.
Le service du foncier du département s’est réuni le 5 octobre dernier, nous avons donc contacté Ismaël Kordjee. Il explique au JDM que le département donne un avis favorable à l’appui financier et logistique à la DAFP, ayant à payer « d’importantes sommes au titre de l’impôt foncier sur des terrains occupés par des tiers et dont il ne pourra recouvrir l’usage ». Sur la cession des ZPG, les conclusions du département sont plus confuses, encore en cours de rédaction, puisqu’il appelle, soit à abroger le décret de 2009 de cession onéreuse des terrains en ZPG, soit à extraire du Domaine public maritime les zones urbanisées, soit à aménager la loi.
Il ne faut pas tarder à faire légiférer les propositions sénatoriales qui ne sont pas éternelles avec l’année électorale qui s’avance.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte