En devenant département, Mayotte savait qu’elle signait la mise à mort de ses cadis, du moins de leur rôle de juge de paix. Depuis, ils sont passés par un long sas de décompression, « on attend que l’Etat nous trouver un statut », nous avait glissé un ancien Grand Cadi. Beaucoup, dont le député Aboubacar, se sont battus pour trouver une formule qu’ils pourraient investir, administration cadiale ou autre.
La démarche a été boostée par les débats nationaux sur la laïcité et la religion, et la position de médiateur dans de violents conflits sociaux, qu’a assumé spontanément et avec réussite l’ancien porte-parole des cadis, Mohamed El Nassur. Ses interventions publiques où se retrouvaient les intérêts des deux cultures, judéo-chrétienne, et « mahero-musulmane », ont fini par convaincre qu’une carte était à jouer à Mayotte, débouchant sur l’intervention de Manuel Valls, « qui annonçait en juin 2015 sur les ondes de Mayotte 1ère son intention de proposer aux cadis d’exercer dans la médiation sociale », rappelle Laurent Sabatier, président du Tribunal de Grande Instance.
Médiation sans conciliation
C’est d’ailleurs lorsqu’ils ont entendu l’ancien porte-parole des cadis déclarer que « la laïcité, c’est le droit de ne pas croire », comme le rappelait encore Laurent Sabatier, que les représentants du ministère de la Justice « ont décidé de restaurer la place des cadis dans la société mahoraise, en deux phases. D’abord en s’éloignant des phantasmes négatifs véhiculés autour de la religion musulmane en reconnaissant que les cadis pratiquent un islam d’une extrême tolérance, sur laquelle a rebondi le préfet Morsy en lançant un premier DU, puis en leur proposant d’intégrer la médiation sociale, et non plus la conciliation », puisqu’ils ne peuvent plus « dire le droit, avec le risque de préjuger de ce que la justice pourrait rendre. »
En tant que représentant de l’Etat, le sous-préfet chargé de la cohésion sociale Guy Fitzer, rappelait que « dans un contexte international tourmenté, la lutte contre l’extrémisme est centrale. Le DU Valeurs de la République et Islam est une pierre pour construire la maison commune de la République française. »
Même si l’extrémisme est la préoccupation du moment, et que, comme le rappelait justement le sous-préfet, on ne se lassera jamais de répéter que « Mayotte peut être une référence pour tout le territoire national », on ne peut envisager la pratique de la religion musulmane à Mayotte que sous ce prisme, au risque de stigmatiser sans en avoir l’intention.
Appréhender les complexités de la République
Les 10 cadis lauréats vont donc devoir faire vivre leurs diplômes, avec leurs nouveaux acquis, comme nous l’explique Assani Boina, secrétaire des cadis : « Je ne maitrisais pas certains domaines, comme la signification de la laïcité, les devises de la République et le positionnement qu’elle exigeait d’un ministre du culte. Nous avons aussi beaucoup appris de l’Histoire de Mayotte, les rapports avec la France, les Comores, les Nations Unies, et ce qu’était la liberté de conscience. » Mais ils vont devoir aussi répandre la bonne nouvelle auprès des fundis et des maître coraniques, « ils intègrent le nouveau DU justement », précise-t-il.
Pas la peine d’assurer la promotion du nouveau « Diplôme universitaire Valeurs de la République et religions », il affiche complet, nous précise Aurélien Siri qui en a la charge. Ce nouveau DU élargit donc le champ religieux pour harmoniser son programme avec les 14 existants en métropole, et être reconnu, pour notamment obtenir les mêmes soutiens financiers. « Pour l’instant, nous bénéficions d’une prise en charge pour moitié par la politique de la ville de la préfecture de Mayotte, ainsi qu’une participation du ministère de l’Intérieur », précise l’universitaire.
Ils sont 35 à retourner sur les bancs de la fac, « ça me plairait si j’avais le temps », glissait Guy Fitzer. 16 d’entre eux étaient inscrits au cycle long de deux ans du DU initial, dont des cadis et des secrétaires greffiers, d’autres sont des agents du conseil départemental, comme Younoussa Abaine, le directeur du service de la Médiation et de la Cohésion sociale, et de la préfecture, comme l’adjoint du Guy Fitzer.
Comme toute promo, un major s’est distingué : il s’agit de Saïd Maoulida, « étant donné ses compétences, nous l’avons torturé à l’oral ! », plaisantait Laurent Sabatier, pendant qu’Aurélien Siri félicitait leur enseignante en Arabe et Civilisation, Leïla Al Ardah, pour son implication, et les juges membres du jury Laurent Sabatier et Bertheline Monteil.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte