Agriculture en Outre-mer: Le Sénat veut «acclimater» les normes européennes

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Voici un nouvel épisode du combat engagé par les Outre-mer pour rapprocher les textes européens de la réalité des régions situées à des milliers de kilomètres de Bruxelles. Après la déclaration de Madère signée par tous les présidents des régions ultrapériphériques européennes (RUP), voici une proposition de résolution du Sénat.

Cinq sénateurs de la délégation sénatoriale à l’Outre-mer ont élaboré un texte qui sera débattu en séance publique le mardi 22 novembre. Le document se penche en détail sur l’agriculture, en dénonçant des normes et des choix de politique commerciale de l’Europe qui pénalisent lourdement les Outre-mer, ou plutôt qui favorisent les pays producteurs concurrents.

Pour les sénateurs, l’agriculture ultramarine est en effet «menacée» par «l’inadaptation du cadre normatif européen» alors que «le secteur agricole est un pilier essentiel de l’économie des Outre-mer et un levier clef de leur développement».

Une politique vertueuse menacée

Malgré les nombreuses contraintes -éloignement, insularité, étroitesse des marchés intérieurs, virulence des aléas climatiques, dépendance à l’égard des capacités techniques de l’Hexagone-, les filières agricoles ultramarines ont engagé une modernisation profonde de leur appareil productif et de leur stratégie de commercialisation. Elles ont misé sur l’agroécologie, la diversification et une montée en gamme.

La commission du Sénat relève que, jusqu’à présent, l’Union européenne «a contribué à financer et accompagner cette politique qui s’est traduite par de réels gains de compétitivité, en particulier dans les grandes filières exportatrices de la banane et du sucre», sans renoncer à ses standards sociaux et environnementaux, «bien au contraire».

 Proposition de résolution européenne du Sénat en faveur de l'agriculture Outre-mer
Proposition de résolution européenne du Sénat en faveur de l’agriculture Outre-mer

Mais cette «politique vertueuse de mieux-disant social et environnemental» est «menacée d’être réduite à néant». Car, selon les sénateurs, les normes européennes ne prennent pas en compte «les contraintes propres aux RUP» alors que la nouvelle donne commerciale internationale est marquée par l’irruption «de plus en plus massive» sur les marchés, de pays tiers à bas coûts.

Le problème des traitements phytosanitaires

Dans le viseur des sénateurs, on trouve d’abord «la réglementation phytosanitaire» de l’Union européenne. Imaginée «pour les conditions tempérées de l’Europe continentale, sans forte pression de maladies et de ravageurs», elle «ne tient pas compte des caractéristiques de l’agriculture en milieu tropical».

Ainsi, les RUP, placés «dans l’angle mort» de l’Agence européenne de sécurité des aliments, risquent de perdre leur homologation pour «une poignée de produits absolument indispensables à la survie même des plantations». Les sénateurs pointent le fait que l’agriculture des RUP ne peut pas utiliser des «solutions phytopharmaceutiques», dont l’homologation européenne est très longue, alors que les pays voisins et concurrents les emploient… pour mieux pouvoir exporter vers l’Europe.

Le bio injustement concurrencé

De même, l’agriculture biologique dans les RUP pourrait constituer une voie d’avenir prometteuse, mais elle ne parvient pas à prendre son essor car la règlementation européenne ne prévoit pas de volet spécifique pour l’agriculture tropicale… Alors que la République dominicaine, l’Inde ou le Brésil bénéficient d’un étiquetage «bio» plus accessible.

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Les production « bio » de l’Outre-mer injustement concurrencées

Les sénateurs sont d’autant plus inquiets que l’Equateur, qui est déjà le premier exportateur de bananes sur le marché européen, va bientôt bénéficier d’un accord de libre-échange… L’Europe favorise ainsi les concurrents de ses propres Outre-mer. Concernant l’Equateur, les sénateurs expliquent par exemple que le pays «traite ses bananes 40 fois par an avec une gamme d’une cinquantaine de produits phytopharmaceutiques» tandis que «les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent 7 traitements» annuels.

«Deux poids, deux mesures»

Face à cette «politique inéquitable du ‘deux poids, deux mesures’, les RUP sont enfermées «dans une logique fataliste de compensation financière, de dépendance et de dépérissement».

Accords de libre-échange, production bio, pesticides… Sur tous ces sujets, les sénateurs rédigent donc «une proposition de résolution européenne» pour tenter de faire «acclimater les normes européennes» aux contraintes propres des RUP et réorienter les politiques de l’Europe vers le «développement endogène des RUP».

Cette proposition va maintenant suivre le cheminement des commissions -affaires européennes le jeudi 3 novembre puis celle des affaires économiques le mercredi 16 novembre- avant le débat public du 22 novembre.

RR
www.lejournaldemayotte.com

*Le contenu de la proposition sénatoriale :
-Invite la Commission européenne à acclimater les normes européennes réglementant l’agriculture et l’élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités des productions en milieu tropical,

-Préconise de procéder à la révision du règlement sur les pesticides de 2009 pour dispenser d’homologation les phéromones et les extraits végétaux, et en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche implantés dans les RUP, afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les ravageurs, efficaces et conformes à la mutation agroécologique,

-Recommande à la Commission européenne d’établir une liste positive de pays dont les procédures d’homologation de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes à celles de l’Union européenne afin de permettre aux autorités françaises d’autoriser directement un produit homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage,

-Propose d’autoriser pour les RUP, à titre dérogatoire, la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen des variétés,

-Demande à l’Agence européenne de sécurité des aliments de compléter les référentiels pédoclimatiques et d’habitudes alimentaires qu’elle utilise afin de prendre en compte les caractéristiques propres des RUP au moment de l’évaluation des risques,

-Recommande, à l’occasion de la refonte du règlement sur la production biologique de 2007, de prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical afin d’assouplir le recours aux semences conventionnelles, d’autoriser la culture sur claies, de raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte par des produits d’origine naturelle,

-Préconise d’autoriser la certification de l’agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur pour les exploitations implantées dans les RUP,

-Invite la Commission européenne à assurer la cohérence des normes de production et des normes de mise sur le marché pour résorber le handicap normatif des RUP tout en veillant à la protection du consommateur européen,

-Demande à la Commission européenne de supprimer les tolérances à l’importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l’Union européenne,

-Recommande à la Commission européenne d’établir une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l’eau,

-Préconise l’interdiction de l’étiquetage biologique pour les produits importés de pays tiers lorsqu’ils ne respectent pas les mêmes normes que les producteurs biologiques européens,

-Demande à la Commission européenne d’activer les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords commerciaux et, ainsi, de suspendre les droits préférentiels octroyés aux pays tiers, dès que les importations en provenance de ces derniers dépassent les seuils de déclenchement fixés dans l’accord,

-Incite la Commission européenne à prolonger au-delà de 2019 les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords sur la banane avec les pays d’Amérique latine afin d’assurer aux producteurs ultramarins une visibilité et une protection pérenne,

-Souhaite la création d’observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP, la banane et la canne, afin de disposer de mesures fiables, publiques et transparentes des effets des importations en provenance des pays tiers avec la périodicité pertinente et ainsi d’alerter rapidement la Commission européenne et les États membres en cas de perturbation grave du marché européen et des marchés locaux, pour déclencher sans délai les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation,

-Appelle la Commission européenne à évaluer systématiquement les effets sur les RUP des accords commerciaux qu’il lui revient de négocier en menant des études d’impact préalables et recommande au Gouvernement d’exercer la plus grande vigilance sur la définition du mandat de négociation et sur le suivi de l’application des accords commerciaux, dont les Parlements nationaux doivent être tenus précisément informés,

-Juge nécessaire de développer l’information du consommateur sur les conditions de travail pour les producteurs des pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les RUP,

– Estime nécessaire de garantir la cohérence des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l’Union européenne, conformément à l’article 207 du TFUE, aux termes duquel « il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l’Union ».

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