S’il est arrivé que des personnes se retrouvent à la barre du tribunal correctionnel, c’est peut-être la première fois qu’il y avait autant de décalage entre le fait commis et le châtiment infligé.
Lorsqu’il aperçoit le 28 avril, 5 jeunes dans son arbre à pain, B., propriétaire d’une menuiserie à Sada, décide de réagir, et en attrape un qui tient dans ses mains deux fruits à pain. Le chapardage dans son terrain, il n’en peut plus, lui qui a appelé de multiples fois les gendarmes, et qui a entendu le même refrain en réponse , « vous savez, ils seront relâchés tout de suite. » Il en déduit que « la loi est faite pour protéger les voleurs », comme ce qu’il répètera aux enquêteurs.
Son ras le bol dépasse la raison, la sienne on ne sait pas, mais la nôtre à coup sûr, puisqu’il va attacher le jeune T. de 13 ans, à une machine, et va, 6 heures durant, le fouetter avec une corde, après avoir tenté de le forcer à manger un fruit à pain cru. Ils sont quatre hommes à la barre, dont deux à avoir été actif dans cette histoire, puisque N. lui donnera un coup de barre de fer. Les deux autres ne réagissent pas, « c’est une histoire entre Mahorais », répond l’un, « non entre des adultes et un enfant », reprendra fermement le juge.
« Ce n’est pas la rue qui gouverne »
Ils le traineront vers la cour où il subira le même acharnement attaché à un arbre, « on voulait avoir les coordonnées de ses parents pour les appeler », tente de se justifier B. Le jeune donne pourtant les noms de sa mère, native de Mangajou et de son père, de Pororani, mais n’a pas leur numéro de téléphone. C’est ce qui lui vaudra ces tortures, 30 à 40 coups de corde « une flagellation considérable, les chairs sont éclatées », relève le président d’audience, choqué à la vision des photos. Le jeune a bénéficié de 8 jours d’ITT.
Il pleure, crie même selon l’un des prévenus, se défend d’avoir volé. Pour l’avocat de sa maman, Me Hessler, l’affaire sordide aurait mérité un tout autre traitement, « la cour d’Assise », et accuse le parquet d’avoir cédé à la pression populaire, « ils ont été mis sous contrôle judiciaire, et non en détention provisoire », faisant le lien avec l’émeute provoqué par plusieurs villageois en soutien le jour de leur interpellation, « des émeutes avec caillassages ont éclaté aux abords de la gendarmerie de Sada pour qu’on les libère, un fonctionnaire a été blessé. » Il appelle le tribunal à ne pas craindre le trouble à l’ordre public, « comme l’avait dit Jean-Pierre Raffarin, ‘ce n’est pas la rue qui gouverne’ ».
Le droit à la correction… sous conditions
L’avocat reconnaît que le contexte mahorais est compliqué, avec un taux de délinquance des mineurs hors norme, « mais ce n’est pas une raison pour s’acharner 5h durant contre un gamin. Le droit à la correction existe en France, mais doit être exercé par les parents et sans excès. » Le jeune est désormais en métropole, où il est suivi en psychiatrie. Il demande 15.000 euros d’indemnisation.
La substitut du procureur Prempart défend le parquet de toute intimidation, « lors du caillassage de la gendarmerie, deux personnes ont d’ailleurs été déférées au procureur », et appelle à la nuance, « même si les lois de la République s’appliquent comme en métropole, nous sommes obligés de tenir compte du contexte local. » Revenant au dossier, elle fait référence aux châtiments du Moyen-Âge : « Quel exemple vous donnez à ces jeunes ? Celui de se rendre justice comme vous l’avez fait entre eux, et quand ils seront grands ?! »
Pour justifier les peines de prison ferme qu’elle allait demander, la substitut du procureur rappelait que s’il avait été jugé avant 2014, B. aurait été sous le coup des peines plancher, « avec 18 mois de prison provisoires pour les trois circonstances aggravantes : violences et séquestration le tout commis en réunion. Elle requiert donc 5 mois, 7 mois et un an de prison avec sursis pour les trois acolytes en fonction de leur implication, et 3 ans de prison ferme, dont 2 avec sursis, et mandat de dépôt. Les murmures de ses proches se font entendre dans la salle.
« Des faits graves », selon leur avocat
« Lourde tâche », introduira leur avocat Yannis Souhaïli, qui évoquait immédiatement « des faits très graves, et ils en sont conscients. » Un petit geste pour le parquet « qui n’a pas cédé à la pression populaire », et au préfet Morsy, « qui n’a pas relâché les deux mis en cause du caillassages à Sada affirmant ainsi l’Etat de droit ». Il axera sa défense sur les casiers judiciaires vierges de ses clients et leur statut social, « c’est leur première erreur, B. a créé sa menuiserie après s’être formé et a 3 enfants. » Il informait que le jeune auteur du vol et ses 4 comparses étaient mis en examen au tribunal pour enfant.
C’est d’une voix imperceptible que le juge Bouvart donnera son verdict : N. et M. seront condamnés à 3 mois et 5 mois de prison avec sursis, N. à 12 mois et B. à 20 mois de prison avec sursis. On souffle dans la salle. « Le tribunal n’a pas voulu rendre une justice à la métropolitaine, mais c’est un avertissement gravissime », commente le juge Pascal Bouvart. Ils devront tous les deux dédommager solidairement la maman de 12.000 euros.
C’était encore une fois le jugement du traitement des plaintes pour vol commis par des mineurs. « A force de prévenir la gendarmerie et de n’avoir aucune nouvelle des plaintes », plaidait Me Soihaili. Les plaignants ne se retrouvent plus dans une justice où ils ne se sentent pas écoutés comme victime. « Il y a 10 jour, B. a repris deux gamins en train de voler dans son terrain, les gendarmes les ont interpellés, ont déclaré, ‘il ne va rien se passer’, et le lendemain, ils étaient à nouveau là ! Le dossier est symbolique de ce que vivent les habitants… », concluait l’avocat.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte