La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers s’applique depuis le 1er novembre 2016 à Mayotte. Comme nous l’avions démontré, elle est à la fois protectrice et restrictive.
Elle donne en tout cas la possibilité à tout étranger retenu au Centre de rétention de saisir le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) sous les 48 heures, et non plus 5 jours. Ce qui a de faibles chances de se produire à Mayotte où les étrangers sont retenus 17h en moyenne. Une conditions qu’est parvenue à utiliser pour des mineurs, l’avocate Me Marjane Ghaem, également membre du GISTI, appuyée par sa collègue Me Fanny Petit. Le JLD n’a pour autant pas été favorable, c’est la Chambre d’Appel qui lui a donné raison.
Ce dimanche 20 novembre, une embarcation est interceptée par la Police aux Frontière (PAF). Ses passagers sont conduits au Centre de Rétention Administratif (CRA) de Pamandzi. Sur le fichier tenu par Solidarité Mayotte, sont inscrits 3 mineurs rattachés à un homme, « sans aucun lien de parenté », souligne Me Ghaem, qui saisit le Tribunal administratif en référé liberté. Qui est suspensif depuis l’application de la loi sur le droit des étrangers du 7 mars. Elle le fait aux noms d’une fillette de 14 ans, libérée par le préfet le lendemain, et d’une plus âgée, N., de 17 ans. L’avocate n’a aucun document sur la 3ème , T., âgée de 10 ans.
Sa mère en situation régulière à Mayotte
Le 23 novembre, l’homme majeur, ainsi que les 2 mineures, sont amenés devant le JLD. N’ayant pas encore agi pour la fillette de 10 ans, Marjane Ghaem est interloquée par sa présence, et demande au JLD de s’autosaisir, « ce qu’il pouvait faire même avant cette nouvelle loi ». Il refuse. Elle se tourne alors vers la procureur chargée des mineurs : « Elle m’a répondu ne pas vouloir s’immiscer dans les décisions prises par le préfet. »
Au sujet de l’expulsion des deux mineurs, le JLD rejette la requête, le tribunal administratif suit, « au motif que N. avait des conditions de vie acceptables à Mohéli. Mais sa mère et ses frères et sœurs résident à Mayotte en situation régulière ! », proteste l’avocate. La rétention du majeur, et donc des deux enfants mineurs rattachés, est prolongée.
Me Ghaem fait appel, non suspensif, de cette décision, et saisit cette fois parallèlement le JLD pour la petite T. de 10 ans. Les deux audiences ont lieu le même jour. Comptant sur l’effet de la loi auprès du JLD, elle privilégie l’Appel, en remettant quand même ses 10 pages d’écriture pour la défense de la petite T. « Mais non seulement le juge ne désigne pas d’administrateur ad hoc pour T., mais il reproche à une fillette de 10 ans de ne pas avoir saisi le tribunal à temps ! ». T. repart donc en rétention.
Expulsée, mais avec quel accueil sur place ?
Mais une heure après, la présidente de la Chambre d’Appel relaxe N., évoquant son rattachement « arbitraire » au majeur « avec lequel elle n’a aucun lien de parenté ni d’alliance », et l’acte « erroné » du JLD qui a joint kles 2 procédures. La jeune N. repart avec sa mère du tribunal. On apprendra à la lecture de l’ordonnance de la Chambre d’Appel, l’histoire, compliquée, de cette jeune fille malgache, qui, ayant vécu 13 ans à Mayotte, et repartie en 2007 chez une tante aux Comores, qui l’a chassée du domicile, l’incitant à rejoindre sa mère à Mayotte en kwassa.
Reste le cas de la petite T., repartie en rétention. Me Ghaem avait fait appel de la décision du JLD, « tout ça bénévolement et en travaillant jusqu’à minuit avec ma collègue Fanny Petit ». Le travail finit par payer, « un autre juge de la Chambre d’Appel prend lui aussi une décision d’annulation de rétention pour la petite, qu’il libère pour avoir été arbitrairement rattachée. »
Saisie par l’avocate, La Cour européenne des Droits de l’Homme avait dès le 24 novembre demandé des précisions au gouvernement français sur les conditions de rétention des jeunes mineurs, et notamment, « quelles sont les mesures prévues par les autorités françaises pour effectuer son renvoi vers les Comores et pour assurer son accueil par sa famille ou des services responsables de la protection des mineurs ? » Me Petit rappelle les 5 arrêts de la CEDH condamnant la France en juillet dernier.
Quant à la fillette de 10 ans, elle devait être prise en charge par l’Aide sociale à l’Enfance (ASE) qui l’a replacée auprès de sa mère.
On retiendra de cette affaire que les JLD n’ont pas encore pris toute la mesure du nouveau rôle que leur confère la loi, qui a été suivie par la Chambre d’Appel. En clair, il faut donner un cadre d’intervention précis à chaque acteur. Il faut dire que cette loi a suffisamment été brandie comme une menace de l’équilibre du territoire, pour rendre des JLD frileux.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte