«Il existe au fond des mers des mines de zinc, de fer, d’argent, d’or, dont l’exploitation serait très certainement praticable». Cette révélation date de 1869. Elle est signée Jules Verne. Or, 150 ans après son roman «Vingt mille lieues sous les mers», la technologie vient donner raison au tout premier maître de la science-fiction. À deux pas de La Réunion, depuis deux ans, de grands consortiums internationaux sont en effet autorisés à fouiller le fond de l’océan Indien.
Quatre groupes, respectivement indien, coréen, chinois et allemand, détiennent toutes les autorisations pour prospecter en bordure des eaux territoriales françaises et mauriciennes. Ils sont à la recherche de «sulfures polymétalliques». Pour faire court et simple, il s’agit de vastes amas de roches formés par l’activité volcanique sous-marine. Des dépôts océaniques qui contiennent potentiellement de gigantesques réserves de métaux et de minerais, pour l’essentiel, rares et donc précieux.
«Nodules» et «sulfures»
On évoque des «nodules» composées manganèse et du fer, mais aussi de nickel, cuivre, cobalt, titane, aluminium, sodium, magnésium, silice, zinc… Ce sont des galets de tailles variables, de quelques millimètres à plus de 20 centimètres pour les plus gros. On les trouve disposés dans des champs de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, posés sur le plancher océanique le plus souvent entre 4.000 à 6.000 mètres de profondeur. On estime que la seule zone explorée dans le Pacifique concentrerait environ 34 milliards de tonnes de nodules.
Il est aussi question de «sulfures», des accumulations de minéraux qu’on ne trouve que dans certaines zones précises, associées à une activité volcanique. Ces cheminées ou «cônes de sulfures» peuvent dépasser 70 mètres de haut et quelques centaines de mètres de diamètre.
Leur composition est très différente. On trouve ainsi dans ces tas de sulfures des métaux très variés: du fer, du manganèse, du cuivre et du zinc le plus souvent, mais aussi parfois de l’or, de l’argent, du cobalt, du plomb, du baryum… Des éléments plus rares encore ont été détectés : cadmium, sélénium, antimoine, mercure… etc.
10 milliards d’euros d’ici 2030
Connus scientifiquement depuis plusieurs décennies, ces gisements, comme d’autres sur la planète, n’ont jamais été vraiment exploités faute de rentabilité financière. Mais les progrès techniques dans l’extraction de grande profondeur et l’envolée des cours des métaux ont rendu ces mines sous-marines viables économiquement depuis quelques années. Une course mondiale s’est donc engagée dans tous les océans dont le nôtre.
Dans un rapport consacré à la «croissance bleue», la Commission européenne estime ainsi que «5% de la quantité mondiale de minéraux, y compris le cobalt, le cuivre et le zinc, pourraient provenir des fonds marins» d’ici 2020. Le document porte même ce chiffre à 10% d’ici 2030. Certains experts affirment que le chiffre d’affaires annuel mondial de l’exploitation minière marine pourrait passer «de pratiquement zéro à 5 milliards d’euros dans les dix prochaines années» et jusqu’à 10 milliards d’euros d’ici à 2030.
La France privilégie d’autres zones que la nôtre
Comment la France a-t-elle donc pu laisser aussi facilement l’avantage à d’autres puissances économiques, en bordure de sa zone économique exclusive? Par choix stratégique, puisqu’elle a privilégié d’autres territoires ultramarins. En matière de ressources minières maritimes, Paris préfère le Pacifique, l’Atlantique et les Terres australes à notre proche région.
Dans un document de cadrage édité par Matignon le 22 octobre 2015, le gouvernement fixe sa « stratégie nationale relative à l’exploration et à l’exploitation minières des grands fonds marins». Un texte d’une dizaine de pages dans lequel il apparaît clairement que la priorité française est donnée au Pacifique.
«La priorité de l’État dans la recherche des amas sulfurés porte sur la zone de Wallis et Futuna», peut-on y lire. Et plus loin encore: «La ZEE de Polynésie française dispose aussi d’encroûtements riches en cobalt et platine. Il s’agit du plus grand gisement de ce type connu à ce jour dans les océans. Actuellement, l’IRD coordonne une expertise sur les perspectives des ressources minérales marines en Polynésie française».
Dans les Terres australes
Dans les eaux internationales, la France, par l’intermédiaire de l’Ifremer, a également obtenu deux zones d’exploration exclusive. Dans la zone de fracture Clarion-Clipperton au beau milieu du Pacifique. Et sur la dorsale atlantique, très au large au nord-ouest des Antilles.
Les autorités s’intéressent également à une zone plus proche de nous: celle des mers du Sud, des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). «Les îles Saint-Paul et Amsterdam constituent également un immense domaine volcanique peu exploré, centré sur la dorsale Sud-Est indienne qui s’étend sur près de 800 km2 dans notre ZEE», indique le document officiel.
Du cobalt près de Mayotte
Au total, les zones économiques exclusives (ZEE) de la France couvrent 11 millions de kilomètres carrés de fonds marins sur tous les océans. Et par exemple, chez nous, on trouverait des gisements d’«encroûtements cobaltifères». Ils seraient en effet présents dans l’archipel des Tuamotu (Polynésie française), près des îles Kerguelen, des Îles Éparses… et de Mayotte. Comme leur nom l’indique, ils contiennent du cobalt mais aussi du platine et des terres rares.
Aucun traité régional ne gère les eaux internationales dans l’océan Indien et c’est donc la seule «International Seabed Authority» qui a accordé les quatre permis d’exploration sans que la France n’en demande même un seul. Tant pis pour La Réunion qui aura de ce fait beaucoup moins de chance d’offrir une base logistique et portuaire aux consortiums internationaux.
Par le jeu des diplomaties régionales, selon plusieurs observateurs, c’est bien Maurice qui pourrait tirer son épingle du jeu.
RR
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avec le JIR.