Guito Narayanin maintenu en détention: Le récit de l’audience

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Palais de justice de Saint-Denis de La Réunion (Crédits photo: JIR)
Palais de justice de Saint-Denis de La Réunion (Crédits photo: JIR)

La demande de remise en liberté de Guito Narayanin a donc été rejetée hier par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint- Denis. L’homme d’affaires réunionnais, soupçonné d’avoir commandité l’agression d’une avocate aux Hauts-Vallons en septembre 2015, reste au centre pénitentiaire de Majicavo où il est incarcéré depuis le 9 décembre dernier.

L’audience a duré plus de trois heures durant lesquelles Théophane Narayanin était présent par visioconférence, depuis le tribunal de Kawéni. Chemise blanche à rayures bleues et lunettes sur le nez, «Guito» a suivi très attentivement les débats. La planification de l’agression, les accusations des uns et des autres, les indices collectés par les policiers de la sûreté départementale… Rien ne lui a échappé.

Olivier Froment, le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint-Denis, est revenu sur les faits. Il était environ 7 heures du matin le 2 septembre 2015 quand une jeune collaboratrice de Me Sylvie Sevin arrive au cabinet des Hauts-Vallons. Plusieurs individus lui tombent dessus. L’un d’eux, placé dans son dos et capuche sur la tête, la frappe au visage. Hématomes, contusions et nez cassé, la jeune femme se voit attribuer une incapacité de travail de 8 jours. C’est l’arrivée d’un collègue qui met en terme à l’agression, mettant en fuite les agresseurs qui s’engouffrent dans une Ford Fiesta de location.

La piste d’un commanditaire réunionnais

Une rapide enquête permet de mettre un nom sur ceux qui auraient loué le véhicule. Issouffou Salami, tout juste sorti de prison, est suspecté d’avoir été le bras armé de l’expédition, flanqué de Giovanni Boudia et de Madi Toufaili, un Mahorais basé à La Réunion. Le dernier, un certain Marc Ferrol, les aurait attendus au volant du véhicule. Interpellés, ils sont mis en examen et incarcérés.

À l’époque, «Salami suggère que l’opération a été effectuée à la demande de M. Narayanin». La confidence est livrée du bout des lèvres. Il la démentira par la suite. Décidément bavard, il mouille Boudia en lui attribuant cette réflexion énigmatique: «Si cette mission se passe bien, il y aura une autre mission mieux rémunérée…» En revanche, la mémoire des comparses de Salami flanche. Seul Giovanni Boudia concède qu’on lui a dit de faire le sale boulot en lui remettant 2.500 euros en liquide à l’aéroport Roland-Garros. Il n’en dit pas plus. Mais la piste d’un commanditaire à La Réunion fait son chemin.

Le comportement du trio réunionnais

Les quatre hommes passent onze mois en détention. Le seul événement notable est un revirement de Boudia qui aurait parlé sous la pression policière. En juillet dernier, les trois Réunionnais de la bande rentrent dans leur île, placés sous contrôle judiciaire. C’est ce retour qui va braquer les feux des projecteurs sur l’emblématique patron réunionnais. Car le trio se rue chez Guito Narayanin comme s’il y était pour quelque chose.

palais-de-justice-de-la-reunionLe 2 août, ils se rendent au siège des entreprises de Guito, à Sainte-Marie. En l’absence du père, ils font face au fils Narayanin. La menace gronde. Pour s’en débarrasser, celui-ci leur offre 3.500 euros. Le 11 août, Guito Narayanin dépose plainte pour extorsion de fonds alors que les hommes étaient revenus à la charge, pour réclamer 250.000 euros pour chacun. Pas pour garantir leur «silence», mais plutôt «d’une aide juridique». Ils savent être élégants… À la fin du mois d’août, Boudia, Ferrol et Toufaili sont à nouveau arrêtés.

L’enquête de police s’oriente clairement sur la piste d’un contrat destiné à punir Me Sevin, avocate de Frédéric Dachery, avec qui Guito Narayanin est en conflit ouvert pour l’exploitation de la carrière de Kangani.

Un «tissu de mensonges»

Guito Narayanin s’est défendu bec et ongles, se disant étranger à l’affaire et parlant d’une sorte de cabale. Pourquoi alors a-t-il utilisé les téléphones portables de sa femme de ménage et d’une belle-sœur pour joindre Boudia avant, pendant et après les faits? Pourquoi encore avoir contacté en catimini des personnes proches de l’homme de main au moment de son incarcération? Pour sa défense, l’homme d’affaires évoque la jalousie et la grande fragilité de sa compagne. Ce qui l’aurait incité à dissimuler ses appels téléphoniques… une centaine au total.

Il affirme ne connaître qu’un seul des hommes de main mis en examen dans l’affaire, Giovanni Boudia. Mais seulement pour une question de travail. «Il voulait s’installer à Mayotte. Il est venu. J’y ai cru». Concernant des remises de fonds à un proche de Boudia, il dit avoir «agi par souci humanitaire».

Salle d'audience du tribunal de Mamoudzou«Je regrette d’avoir aidé ces gens-là mais c’était plus dans un but d’apaisement», dit-il encore. Il réfute avoir conduit Boudia au domicile de d’Achery et au cabinet d’avocats pour faire un repérage. «Tout ça est un tissu de mensonges», clame-t-il. Et d’ajouter: «Il a cru dans sa petite tête que s’il me mouillait, il aurait de l’argent. On ne va tout de même pas croire que j’aurais donné un million d’euros à ce type».
Il conclut en suppliant les juges: «Je n’ai pas ma place dans cette prison. Je vous demande de sortir de cet enfer».

Une affaire où «tout est possible»

«C’est rarissime que l’on s’en prenne à la justice. Il faut être extrêmement vigilant. C’est une affaire où tout est possible», a plaidé Me Jean-Jacques Morel, l’un des avocats des parties civiles. Pour sa part, le substitut général, Patrice Cambérou, a balayé la demande de nullité soulevée par les avocats de la défense avant de lister les raisons plaidant en faveur de son maintien en détention. «Parce qu’il est suspecté d’avoir organisé et orchestré ce qui s’est passé en août 2015», parce qu’il existe des «risques de pression». Et d’ajouter: «Monsieur Narayanin se dit lui-même en grand danger. C’est une raison de plus pour garantir sa représentation en justice et sa sécurité».

Les avocats de la défense ont tenté de demander le versement d’une caution et d’assurer son éloignement par l’accueil d’une parente en métropole. Ils ont enfin prévenu du risque de mise en difficulté de son groupe car il est «l’homme clé de ses sociétés». «Ce n’est pas seulement M. Narayanin que vous affectez mais un millier de personnes».

Finalement, aucun de ces arguments n’a fait mouche.

RR, le JDM
avec Eric Lainé, le JIR.

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