A Mayotte, on n’a pas d’eau, mais on a des idées… Comment le BTP a su s'adapter

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Des petites cuves d'un mètre cube remplies à partir des eaux de pluie pour être distribuées sur les chantiers
L’allotissement n'est pas une garantie suffisante
Le chantier Colas du centre d’affaires à Kawéni était menacé par le 1er arrêté

Face à la pénurie d’eau, les entreprises s’organisent, nous indique la préfecture dans le communiqué qui a suivi le 17ème Comité de crise sur la Ressource en eau. L’arrêté préfectoral de restriction des usages de l’eau interdit depuis décembre, le ravitaillement en eau des chantiers. Ce qui stoppait 90% de l’activité du BTP, nous indiquait le responsable d’une des majors de l’île, puisque seule les centrales à béton étaient autorisées.

Romain Cartron, le Chef de Centre Routes chez Colas, rapporte que la situation était critique : « En cas d’arrêt, il aurait fallu mettre 150 personnes au chômage technique. » Un nouvel arrêté publié mi-janvier, prend alors en compte ce qui aurait pu être une catastrophe sociale et une faillite généralisée, en autorisant la fabrication de béton à partir des eaux de pluies, à l’exclusion des eaux issues des cours d’eau et des nappes.

La Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DEAL) de Mayotte informe que 40 entreprises ont réagi en mettant en place une utilisation des eaux pluviales pour la fabrication de béton. « C’est une mesure que nous avions déjà activée avec les plus grosses d’entre elles, lors des premières mesures de préservation de la ressource », explique Patrice Poncet, Chef du service Environnement et Prévention des Risques à la DEAL.

200l d’eau pour 1m3 de béton

Une grosse cuve récupère les eaux de toiture d’un hangar Colas à Majicavo à partir d'un tuyau spécialement installé pour récupérer l’eau des gouttières
Une grosse cuve récupère les eaux de toiture d’un hangar Colas à Majicavo à partir d’un tuyau spécialement installé pour récupérer l’eau des gouttières

La Colas fut leader, « mais le secteur a été très solidaire », nuance Romain Cartron. Sa solution fut de positionner des citernes et des fûts aux endroit stratégiques, gouttières, pentes de toits : « Une organisation qui implique notre responsabilité. Nous rapportons à la DEAL la quantité récoltée sur chaque site, puis dispatchée vers les chantiers. » Au moyen de citernes de 1m3 transportées par camions.

Chaque entreprise a mis en place son système D : « De la récupération des eaux de toitures pour certaines, quand d’autres utilisent les eaux de bassins de décantation dans les carrières, considérées comme de l’eau de pluie. » C’est le cas de l’ancienne carrière de Doujani.

Si les centrales à béton ne sont pas concernées, c’est qu’elles sont moins énergivores en eau, avec une production optimisée, explique-t-il. C’est que pour obtenir 1m3 de béton, il faut 200 litres d’eau en moyenne, « c’est à dire la consommation journalière de deux habitants de l’île. » On comprend l’impact du Bâtiment sur la ressource.

« Nous pouvons tenir jusqu’à fin avril »

Des petites cuves d'un mètre cube remplies à partir des eaux de pluie pour être distribuées sur les chantiers
Des petites cuves d’un mètre cube remplies à partir des eaux de pluie pour être distribuées sur les chantiers

Au delà de la crise actuelle, les contraintes de l’île incitent à pérenniser ces pratiques d’économies. Nous y obligent même, quand on sait que la consommation s’est accrue de 9% en 2016, selon la SMAE.

Car ce système de récupération n’est viable qu’en période de pluies, fussent-elles minimes : « Nous allons tenir jusqu’à fin avril avec une capacité de stockage d’une grosse semaine. Mais au delà, nous allons dans le mur », craint Romain Cartron. Les craintes de voir des retenues collinaires partiellement remplies à la fin de la saison des pluies se font de plus en plus fortes, avec une saison sèche à tenir derrière.

« Nous commençons à réfléchir sur la mise en place de chantiers verts et éco-responsables, au delà de la levée de l’arrêté préfectoral », glisse Patrice Poncet. Nous avions évoqué dans les pistes de réflexion, des subventions à la récupération des eaux de pluies, comme cela a été fait pour l’électricité et les énergies renouvelables, avec notamment les chauffe-eau solaires. Une idée qui se heurte, et c’est dommage, à la législation en cours : « En France, la récupération des eaux de pluies est très encadrée par le ministère de la Santé. Mais il existe malgré tout des opérations pilotes avec des programmes de bâtiments labellisés ‘économes en eau’. »

Un Espace Info-eau ?

De gros volumes d'eau s'échappent des toits
Que d’eau à récupérer…

Car 60% de notre consommation de 100 litres d’eau par jour partent en tirant la chasse (50%) ou en prenant une douche : « Il faut promouvoir des équipements, des toilettes par exemple, plus économes que ceux qui étaient sur le marché il y a 15 ans. » Dans la même veine que l’espace Info énergie, Patrice Poncet envisage un Espace Info Eau, « la SMAE émet déjà des spots incitant à l’économie. »

Une discussion avec le conseil départemental pourrait déboucher sur la commercialisation de kits hydro-économes, à adapter sur les robinets. « Toute la société doit se sentir concernée par ces efforts à faire, sinon ça ne fonctionnera pas. »

Au delà du petit équipement ménager, une réflexion est en cours pour ériger des logements exemplaires en économie d’eau, « à travailler avec les bailleurs comme la SIM. Une contrainte à intégrer au cahier des charges comme l’ont été les brise-soleil, ou l’isolation des bâtiments.

Des efforts qui peuvent alléger considérablement la facture en eau de l’île, et qui doivent évidemment s’accompagner des investissements en forages comme nous l’avait expliqué le Syndicat des Eaux.

Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

 

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