Une audience solennelle où élus départementaux et avocats sont présents, cela fait plusieurs années que le Tribunal de Grande Instance n’avait pas connu ça ! Les invitations n’arrivant jamais sur les bureaux des premiers, quand les mouvements sociaux des seconds avaient jadis vidé les bancs de leur présence. Les invités représentant les institutions comme la société civile, étaient nombreux dans la chaleur de la nouvelle salle d’audience aux inconfortables bancs. Il s’agissait d’accueillir le nouveau vice-président Georges Vivien.
Avant les traditionnels constats d’une activité plus que soutenue, face aux moyens déficitaires de la juridiction, on retiendra tout d’abord le satisfecit du président du Tribunal de Grande Instance (TGI), Laurent Sabatier, « le bilan est très positif, puisque avec une activité pénale en hausse de 19%, la juridiction absorbe les saisines du parquet ».
Le Tribunal pour enfant a du faire face à un accroissement d’un tiers de ses jugements par rapport à l’année précédente, et le Juge de la Liberté et des Détentions (JLD) à deux fois plus de saisines. Paradoxalement, le juge se satisfaisait d’une hausse des signalements d’enfants, « j’y vois le signe rassurant d’une meilleure transmission par le conseil départemental vers le système judiciaire. »
Le Tribunal du travail a été deux fois plus efficace en terme de traitement de dossiers, « et les K-bis s’obtiennent désormais en 3 semaines. » La chute du contentieux électoral est liée… à l’absence d’élections cette année.
Une délinquance en hausse, mais pas de « cataclysme » cette année
Juste avant ces notes d’optimisme, les invités avaient pu entendre le procureur Joël Garrigue. Peu friand de bilan de son action, « on est rarement objectif dans cet exercice », il rapportait malgré tout, sa volonté « d’apporter une réponse pénale à la hauteur d’une délinquance violente et galopante. »
Ses désirs auront été des ordres si l’on en croit les statistiques, les départs directs vers Majicavo après la garde à vue, ont connu une hausse chez les adultes de 22%, et pour les mineurs, de 30%, « et ils avaient déjà doublé en 2015 ». En conséquence, le Juge qui se prononce pour la liberté ou la détention, a pris 466 décisions, contre 249 l’année précédente.
Des chiffres qui ne doivent pas occulter un fléchissement de la hausse de la délinquance : « Je n’utilise plus des adjectifs empruntés aux sismologues face à son explosion (il avait parlé de « cataclysme »), mais je n’irai pas non plus vers les bisounours. Si pour la première fois, la hausse n’est pas vertigineuse, il y a eu en 2017, 617 faits de plus, donc 617 victimes de plus. Et l’atteinte aux personnes est notre première préoccupation. »
« Des lubies de procureur fatigué » dont certaines sont exhaussées
Il évoquait un taux d’élucidation « à faire pâlir d’envie un procureur de métropole », et félicitait les forces de gendarmerie et de police. Cette dernière couvre une zone où se perpétuent la moitié des infractions de l’île, « j’attends toujours la mise en place de la mesure 18 du Plan de Sécurité qui prévoit la création d’un service de police judiciaire », au sein du commissariat.
C’était un de ses voeux. Certains ont été réalisés, ou sont en passe de l’être. C’est le cas du fichier CASSIOPPEE de renseignement national sur les auteurs d’infraction pour le 2ème semestre 2017, « une revendication ancienne qui pouvait passer pour une lubie de procureur fatigué ! » Egalement acquis, le dispositif d’harmonisation d’échanges avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) à la fois à Mayotte et à La Réunion, le renforcement du greffe, le recrutement de 2 interprètes salariés qui rejoindront les 2 existants, « pour contrer la double barrière de la langue, française et du juriste. »
La création d’un 3ème cabinet de juges d’instruction devient urgente, « les deux tiers des dossiers sont des affaires criminelles », ainsi que celle d’un 6ème poste de magistrat au parquet.
« Pas un centime pour le Centre Educatif ! »
Très déçu par contre de la mise à l’écart du projet de Centre Educatif, pourtant préconisé au Plan Sécurité de Cazeneuve : « La Direction Centrale de la PJJ n’a pas débloqué un centime à cet effet, il va donc falloir faire avec Dago Tama et ses 12 places. » L’enfermement des mineurs au centre pénitentiaire n’est pourtant pas la meilleure solution pour plusieurs d’entre eux. « ‘Ouvrez une école et vous fermerez une prison’, disait Victor Hugo, mais le quartier des mineurs qui ne désemplit pas nous renvoie aux Misérables. » Le Centre pénitentiaire est actuellement en sur-occupation de 350 détenus pour 278 places.
Les effectifs manquent aussi en Brigade de Sureté Urbaine pour enquêter sur les filières de vente des stup, mais aussi en investigations sur les affaires économiques et financières, « sur l’octroi des marchés publics. Les quelques affaires mises à jour ne sont qu’une petite partie de l’iceberg… »
« Les enfants de Mayotte sont ceux de leurs parents »
En matière de prévention de la délinquance, Joël Garrigue faisait passer un message au président du conseil départemental en évoquant un déficit de moyens sur l’Aide sociale à l’Enfance, « l’argent public ayant été détourné de ses finalités », et appelait des partenaires extérieurs « ‘à être unis dans l’espoir et dans l’action’, comme le dit Malraux », pour prendre en charge de travaux d’intérêt général : « Beaucoup de communes ont répondu présent, comme le CHM ou les pompiers, avec des résultats intéressants. »
Il concluait en revenant sur les origines de la délinquance, « qui n’est pas l’apanage de la justice ou des forces de l’ordre. Les enfants de Mayotte ne sont pas les enfants du juge ou du procureur, mais ceux de leurs parents. »
Le désormais ex-procureur de Mayotte parlait d’un territoire attachant, « mais un territoire aux enjeux géopolitiques qui le dépassent. » Joël Garrigue part dimanche pour le Tribunal de Bourges. Son successeur, Camille Miansoni, arrive le 17 mars.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte