Devant une centaine d’agents sur les 3.000 que compte la collectivité, Haoussi Boinahedja et Askandari Allaoui, le porte-parole de l’intersyndicale CFDT, Sud, Solidaires, CFE CGC, CGT Ma, FO, FSU et SNU TER, ont égrené les manquements dans la gestion du personnel, avec des témoignages de cadres et agents à l’appui.
Ils dénoncent le silence du contrôle de légalité de la préfecture face à leurs nombreuses accusations, et relataient les observations d’un rapport du contrôleur de gestion et 2016 : « Des inégalités de traitement des agents, des distorsions quasi-systématiques des règles de droit dans la fonction publique. »
Reprenant le projet d’organigramme général des services de l’actuel exécutif, les deux syndicalistes reprochent un décalage entre l’énoncé, qui préconise de passer « d’une administration de gestion » du type « grande armée de guichets », à « une administration de mission » qui « abolit les cloisons », avec comme objectif de lister les « 3.000 agents, nom par nom, grade par grade, poste par poste, et la réalité « c’est la guerre des chefs, un agent de catégorie C dirige un B, etc. « Les organigrammes fonctionnels demeurent à l’état de projet. »
Le syndrome de l’ « enfant du village »
Le document de 13 pages cite des témoignages. Celui d’un agent qui a quitté le conseil départemental est anonyme, mais édifiant. Ayant choisi de basculer en 2004, lors de la décentralisation, d’un service d’Etat au conseil général, il est installé à un poste de chef de service à la Direction de la Logistique et des Moyens, mais en 2008, il est remplacé « au profit d’un ‘enfant’ du village d’un élu de 1er rang. » Il postule plus tard à la direction de ce service, « je n’ai pas été convié à un entretien, c’est un ami d’enfance de l’élu qui a eu le poste. Ces « parachutages » ont tout bonnement gangrené et tué le bon fonctionnement de l’Institution Départementale. Je l’ai alors quitté en toute conscience. »
Les difficultés les plus visibles sont à chercher du côté de la Délégation de Mayotte à Paris et des PMI, selon l’intersyndicale. Concernant les agents de la première, Askandari Allaoui n’hésite pas à parler de « harcèlement moral », « un service arraché à l’administration générale en mars 2016 pour être soumis aux caprices du cabinet du président. »
Face aux nombreux prétendants aux postes parisiens, il s’agit de rapatrier cette dizaine d’agents à Mayotte, « mais il y a des règles pour muter. Face à leur refus, on leur a enlevé leur 30% de majoration d’indemnité de dépaysement. » Dépaysés alors qu’ils veulent vivre à Paris… c’est fort ! Peu importe la logique, l’administration se place hors la loi selon les syndicalistes, « ils justifie ce retrait par la suspension de l’indexation pour les contractuels, alors que ce n’est pas la même base légale. Nous allons au tribunal, et nous sommes certains de gagner. »
Personne n’a payé les pastilles de désinfection
Quant aux PMI, la situation dans les Protection Maternelle infantile, est connue de tous : « Heureusement que les soignants de Tsingoni et Combani les ont portés sur la place publique. A Mayotte, ce service prend en charge 1.100 naissances par an avec une vingtaine d’infirmiers, au lieu de 44. Et ils n’ont pas de compensation financières pour le actes qui ne dépendent pas de leur compétence comme les bilans sanguins, les vaccins, la prescription de médicaments… »
Quatre d’entre eux, présents parmi les agents assistant à la conférence, prenaient la parole : « Nous travaillons au milieu de poubelles. Nous avons demandé des pastilles de désinfection, qui coutent, 400 euros, personne n’a payé, ni l’ARS, ni le conseil départemental. Dans le sud et le centre, nous ne travaillons plus par manque d’eau, et le Centre médico social de Mtsapéré est fermé à cause d’un problème de plomberie. Où est la mission régalienne du conseil départemental dont nous parle toujours le vice-président ? »
Manque de rigueur généralisé
Face à cette fronde, qui s’était matérialisée par deux mois de grève en 2016, le président Soibahadine avait annoncé une rencontre, « elle n’a jamais eu lieu », déplore les deux leaders syndicaux.
De son côté, le nouvel exécutif avait évoqué des difficultés rencontrées justement pour remettre de l’ordre, mais le manque de rigueur dans la gestion du conseil départemental aboutit à l’effet inverse, « les agents qui ont déposé plainte ont quasiment tous gagné leur procès au tribunal administratif. Il en a couté 1,4 million d’euros en frais de justice et indemnité moratoire au conseil départemental en 2015. Mais ce sont nos impôts, c’est insupportable ! », s’écrie Haoussi Boinahedja, qui préfère ester en justice au nom de l’intersyndicale, « nous allons nous doter d’un statut nous permettant de le faire. »
L’intersyndicale en appelle aux autorités judiciaires, « à condamner ces pratiques déplacées dont les auteurs peuvent ne pas être que des élus. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte