Outre le délégué Benoit Gizard, le préfet Frédéric Veau était accueilli par des membres du Conseil d’administration, venus pour quelques jours découvrir notre territoire : « Dans notre thématique sur l’Outre-mer, nous nous sommes aperçus que Mayotte était un peu oubliée », expliquait Claire Escaffre, vice-présidente du conseil d’administration du Secours catholique.
Centré autour des plus démunis, quelques soient leur origine, leur nationalité, le Secours Catholique est présent à Mayotte depuis 2002, rappelait son président Alain Niaba Ganga : « Venir à Mayotte, c’est effectuer un voyage dans l’espace et dans le temps. Nous remontons à la fois à l’époque où, en France, tout le monde n’était pas scolarisé, mais Paris nous dit ‘Mayotte est en avance en matière de prise en charge de la pression migratoire notamment’. On se pense pauvre quand d’autres nous voient riches. »
Car pour Jean-Louis Loirate, membre du conseil d’administration, le problème de Mayotte est préfigurateur de ce que va vivre l’humanité : « Comme l’a souligné le préfet de Mayotte, la croissance démographique et l’immigration clandestine sont un vrai problème, et en tant que citoyen français, je ne peux qu’être interpellé. Mais nous sommes, en occident aussi, au début des grandes migrations mondiales, liées à la famine ou à la montée des eaux. Il faut prendre des vraies décisions. »
Délinquants parce que oisifs
Et ce qu’il a vu à Mayotte l’invite à l’optimisme, « beaucoup de petites étoiles ». Des petites étoiles qui s’appellent notamment Nadham Youssouf, le responsable du Centre Nyamba qui accueille 120 jeunes déscolarisés qui étaient en errance. Arrivé de Moroni comme grand-brûlé, il s’est formé et est devenu un animateur de choc à Caritas : « Le Secours Catholique fait grandir les jeunes. »
Des petites étoiles qui s’appellent encore Homadi. D’origine malgache, et de père comorien, il explique au préfet Frédéric Veau son histoire : « Je suis arrivé à Mayotte en 2015. Diplômé, j’ai entendu parler de Caritas, et j’ai commencé à donner des cours. Sans papier, j’avais peur de faire les allers-retours, mais je me sentais bien de donner. Du coup, j’ai été sollicité par d’autres associations, œuvrant dans la santé sociale et la lutte contre le tabac. A Doujani, j’apprends l’informatique aux mères de famille. Je sais que je ne suis pas dans la loi, je reconnais l’Etat de droit, je sais que c’est compliqué pour tout le monde, mais je continue à prendre des risques pour donner de mon savoir aux autres. »
Rejetée par sa mère et également diplômée, Rafida s’investit aussi au Centre Nyamba : « Malgré les fouilles dans les taxis, je viens pour aider les jeunes. Ils arrachent les sacs parce qu’ils n’ont rien d’autres à faire. Ici, nous leur apprenons les valeurs et à ne pas faire de bêtises. »
« On te défendra, mais tu te shootes comme nous »
Hadidja interrogeait : « Pourquoi on ne pourrait pas donner un titre provisoire à ceux qui se tiennent bien, qui ne sont pas dans la délinquance ? »
Adams est au centre depuis plus de 3 ans, la durée maximale de séjour. Il raconte, toujours au préfet, comment il a résisté au phénomène de bande : « ‘T’es avec nous, on te défendra, mais il faut que tu te shootes comme nous !’, ils m’ont dit ». On est à Kawéni, c’est « Tropique de la violence » de Nathacha Appanah. « J’étais dans la rue, mais j’ai résisté, j’ai expliqué pourquoi. Je suis arrivé à casser leur bande, certains sont venus avec moi au Centre de Caritas. »
L’objectif du Secours Catholique est d’aider les jeunes à prendre leur avenir en main, une dizaine a été scolarisé, notamment au LEA d’Apprentis d’Auteuil. Le retour éventuel en Union des Comores a été étudié pendant plusieurs mois par Amélie Trimoulet, Chargée de mission. Des contacts fermes ont été noués, avec une insertion possible pour les volontaires au retour. Ils étaient 6 au départ, mais les volontés ont fondu.
Nadham Youssouf interrogeait les jeunes sur ce manque de motivation. Les bénévoles diplômés évoquaient le manque de débouchés : « Nous sommes justement venus à Mayotte parce qu’il n’y avait pas de travail là-bas, il faut connaître quelqu’un de bien placé. ». Les plus jeunes évoquaient le manque de sécurité d’emploi, « nous sommes payés 3 mois, et après, plus rien. »
« Les candidats parlent des Outre-mer sans les connaître »
Claire Escaffre proposait une solution : « Nous sommes dans le domaine de l’Education populaire. On peut peut-être trouver dans la politique de la Ville des biais pour légaliser l’action de ces jeunes ? », interrogeait-elle.
Des idées, les jeunes ultramarins en ont porté des quantités auprès des candidats à l’élection présidentielles, « les 4 ‘on’ », s’amusait Nadham Youssouf, « Fillon, Macron, Hamon et Mélanchon. » Un représentant de chaque DOM et de la Nouvelle Calédonie, se sont retrouvés à Paris, « sans nous connaître, nous avons porté un discours commun, tiré des questionnaires renseignés par 1.000 jeunes ultramarins de 18 à 30 ans. »
Ils se sont aperçus du décalage, « ils parlent des Outre–mer, mais n’en connaissent pas la réalité. Nous leur avons expliqué ce qui n’avait pas fonctionné chez nous dans les politiques mises en place. Quand on parle de jeunes en errance, ils répondent policiers, alors que c’est juste que les jeunes n’ont pas envie de rester sans rien faire. »
La poursuite du travail pourrait se faire à Mayotte sous un profil proche du conseil municipal des jeunes.
Le secours catholique cherche à bâtir des conventions avec des partenaires en Union des Comores, explique Benoît Gizard : « Nous réfléchissons à une transmission des savoirs de base pour que les jeunes puissent exercer des activités qui génèrent des revenus. » Et deviennent autonomes.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte