L’Anafé a choisi l’océan Indien pour sa 1ère «mission exploratoire» en Outre-mer. Créée en 1989, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers a envoyé deux représentants dans notre département pour s’entretenir avec des représentants de l’administration, des associatifs, des syndicats, des professionnels du droit et représentants de la société civile et effectuer des visites de zones d’attente et au CRA de Pamandzi. (Voir le rapport complet Au-delà des frontières de la légalité par l’Anafé à Mayotte)
Sur une trentaine de pages, son rapport fait un état des lieux de la situation des étrangers à Mayotte, et dénonce de vastes dysfonctionnements et «les nombreuses violations des droits des personnes étrangères, notamment celles privées de liberté».
«S’il est vrai que l’on ne peut détacher Mayotte de son contexte, cette différenciation -encore appelée ‘exception mahoraise’- est bien trop souvent utilisée par l’administration au niveau local et au niveau national pour justifier les exceptions législatives et réglementaires, ainsi qu’une pratique attentatoire au principe d’indivisibilité de la République, à ses valeurs et principes fondamentaux, ainsi que les violations des droits fondamentaux», affirme d’emblée le rapport.
Ces dérogations concernent, entre autres, «l’enfermement et le renvoi des mineurs isolés étrangers, l’absence de recours suspensif contre les décisions d’éloignement, le refus d’enregistrement de demandes d’asile, le traitement accéléré des procédures…».
«Violence administrative»
L’Anafé explique ainsi qu’à Mayotte, «le sentiment grandissant est celui d’une violence administrative vécue par une importante partie de la population qui réclame l’égalité de traitement avec le reste de la population française». Cette «violence institutionnelle» est la conséquence d’une départementalisation et d’une RUPéïsation qui n’ont pas concrétisé «la promesse d’une réelle égalité administrative».
Pour elle, la dernière loi sur l’égalité réelle et l’instauration de l’état d’urgence après les attentats en métropole représentent même un recul. «Ce régime dérogatoire permet l’application de normes juridiques spécifiques moins protectrices des droits des personnes, et ce, en contradiction avec les droits fondamentaux, le droit international et européen, ainsi que le droit interne», dénonce l’association.
Zones d’attente et CRA
Par exemple, le rapport pointe une «confusion assumée» et rarement expliquée à Mayotte, entre la «zone d’attente» et le centre de rétention administrative (CRA). Selon la PAF de Mayotte, en 2015, seules 57 personnes ont été placées dans les trois zones d’attente qui existent dans le département, au port, à l’aéroport et au CRA. Partout en France, les locaux de rétention administrative et de zone d’attente sont séparés, mais pas à Mayotte «jusqu’au 26 mai 2019». Chez nous, «un même lieu sert de zone d’attente et de centre de rétention».
«La confusion des régimes applicables en centre de rétention administrative (CRA) et en zone d’attente (ZA) permet à l’administration d’avoir recours au système le moins protecteur des deux et le plus attentatoire aux droits des personnes privées de liberté. La confusion des régimes permet d’appliquer aux personnes arrivant par kwassas la procédure la moins protectrice afin de faciliter le renvoi. Par exemple, un mineur doit être accompagné par un administrateur ad hoc tout au long de la procédure en zone d’attente mais pas en rétention».
Là encore, comme dans de nombreux points soulevés par le rapport, «la logique mise en œuvre à Mayotte est celle de la priorité donnée à l’éloignement au détriment des conventions internationales signées par la France, des recommandations nationales et internationales et en violation de nombreux droits humains».
Des dysfonctionnements de l’Etat sources de tensions
Le rapport dresse un long constat des dysfonctionnements que subit la population à Mayotte sur l’accès à la santé, à l’éducation, la prise en charge économique et sociale, ou encore avec une justice saturée. «Il est évident que les deux seuls juges des enfants de Mayotte ne peuvent faire face à la situation des milliers de mineurs isolés étrangers présents sur l’île», explique par exemple le document.
«Tous ces dysfonctionnements des différents services de l’administration créent des tensions importantes au sein de la population ayant parfois de graves conséquences».
Le rapport évoque aussi la délinquance, des actes de violences qui font le terreau d’un racisme «très présent à Mayotte»: «Chaque couche sociale rejette ‘la faute’ des problématiques socio-économiques sur les couches ‘inférieures’, avec au bout de la chaîne les Comoriens».
Des propositions pour une «réponse humaine»
Au final, pour l’Anafé, «la situation des étrangers à Mayotte et notamment des personnes privées de liberté, des demandeurs d’asile, des personnes malades, des femmes enceintes ou des mineurs est catastrophique et appelle une réponse humaine, solidaire et immédiate de la part des autorités que ce soit au niveau national ou au niveau local».
L’association fait donc une série de recommandations pour la prise en charge des personnes étrangères arrivant à la frontière mahoraise: qu’elles soient «correctement informées de leur situation, de la procédure appliquée et de leurs droits», qu’elles «puissent bénéficier de l’assistance d’un interprète professionnel et d’une assistance juridique effective», et quand elles sont privées de liberté, qu’elles le soient «dans des conditions dignes».
L’Anafé formule également 8 demandes à l’administration, en particulier qu’elle «mette fin à l’enfermement des mineurs qu’ils soient accompagnés ou isolés ainsi qu’à la pratique des rattachements aléatoires des mineurs auprès d’adultes non titulaires de l’autorité parentale». Elle rappelle que «les mineurs isolés étrangers doivent être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance».
Elle demande également, de ne plus réaliser des audiences par visioconférence, de revenir sur les régimes dérogatoires et finalement que «l’égalité réelle soit instaurée à Mayotte pour tous et dans tous les services administratifs de l’Etat».
Pour mémoire, l’Anafé rappelle que «chaque année, près de 20 000 étrangers sont privés de liberté à Mayotte, presque tous sont renvoyées aux Comores, dont environ 5 000 mineurs».
RR
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