On se souvient tous de l’interrogation de la ministre des Outre-mer Marie-Luce Penchard sur l’évaluation du nombre de personnes touchées, et du silence gêné qui lui faisait écho. La lutte n’en était qu’à l’état d’idéologie, avec un budget nul, et donc animée par les seules bonnes volontés, au premier rang desquelles on pouvait compter la sous-préfète à la cohésion sociale, Sylvie Espécier, et Grégory Kromwell qui l’avait mis en place.
Depuis, la Plateforme de lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme a été montée, très récemment portée par le Groupement d’Intérêt Public CARIF OREF (mis en place en 2016). Le budget de prés de 700.000 euros de l’organisation a été voté tardivement, en novembre dernier, ne permettant de réaliser que moins de la moitié des objectifs.
Au premier palier, il faut cerner le public cible. Le diagnostic, le repérage et le début de formation ont été lancés, ainsi qu’un début de communication, qui va être intensifié nous dit Jean-Christophe Lebrun, Chef de projet de la Plateforme. D’ailleurs, une première Journée d’actions de sensibilisation devrait se tenir en mai-juin.
« Les personnes contactées ne se rendent pas en formation »
Si les acteurs territoriaux de la lutte contre l’illettrisme s’étaient retrouvés ce vendredi à la Cité des métiers, et on aura noté la présence de Chihabouddine Ben Youssouf, conseiller départemental mais aussi président de la Commission de lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme, c’est aussi pour évoquer les difficultés de mise en place des actions, et les objectifs pour 2017.
En matière de repérage, un travail est initié depuis ce mois-ci pour accompagner le Pôle Emploi sur son Plan 500.000, de formations prioritaires des chômeurs : « Nous avons proposé une initiation aux savoirs de base orientés vers le métier choisi », explique l’intervenante de la Plateforme.
Une action qui ne coule pas de source selon Pôle Emploi : « L’intention est bonne, puisque l’offre de formation à Mayotte ne correspond généralement pas au public présent. Mais nous rencontrons des difficultés. Les personnes en difficulté sont repérées par des conseillers formés pour cela, qui leur expliquent la nécessité de participer aux formations sur les savoirs de base. Mais l’organisme de formation nous appelle ensuite pour nous signaler que seuls 10 personnes sur les 30 repérées, s’y sont rendues. »
Plus de 200 personnes repérées
Des formations de base indispensables pourtant, comme le rappelle Jean-Christophe Lebrun, « il faut commencer par savoir compter jusqu’à 10 et par savoir calculer une surface, avant de pouvoir décrocher un emploi dans le BTP ».
Ils sont plus de 200 à avoir été repérés, et se pose donc la question de la déperdition entre leur évaluation et leur formation. Le Pôle emploi a même menacé d’une radiation de la liste des ayant droit, une solution que ne partagent pas la plupart des interlocuteurs. Si la Plateforme mise sur les efforts à venir en matière de communication, tous sont d’accord sur une nécessaire « conscientisation du public ciblé », « ils veulent travailler immédiatement, mais doivent comprendre qu’il faut apprendre avant. »
A partir de la langue maternelle
Les deux formations commencent à être proposées de concert, de base et qualifiante, pour que le stagiaire cerne le bénéfice à tirer de la première.
Des Ateliers Pédagogiques Personnalisés sont proposés par des organismes comme Hodina, plus souples, qui collent à l’emploi du temps des éventuels petits boulots qu’ont décrochés certains.
L’ouverture du Centre de ressources devrait permettre de proposer à tous les acteurs une documentation sur les savoirs de base, l’illettrisme, l’analphabétisme.
Grande innovation, l’ingénierie pédagogique fait la part belle aux méthodes d’enseignement basées sur les langues locales : elles seront proposées à la fin du 1er semestre 2017. Un référentiel sur la parentalité collectera des informations de mars à juin.
La Plateforme de lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme, installée quartier Manga Mkakassi, passe donc à peine le stade du diagnostic, mais propose déjà des méthodes innovantes, et compte recruter 2 personnes en plus des 5 salariés actuels. Mais on peut regretter un budget encore faible au regard des enjeux des 70% d’illettrés repérés parmi la population soulignés par Chihabouddine Ben Youssouf.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte