La «proclamation de l’islam de France» de l’institut musulman de la Grande mosquée de Paris

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La grande mosquée de Paris
La grande mosquée de Paris

Le texte a été signé le 28 mars dernier par le recteur de la Grande mosquée de Paris Dalil Boubakeur. Cette «proclamation de l’islam de France» a pour objectif de montrer aux musulmans (de métropole) comment pratiquer leur religion en toute liberté tout en respectant les principes de la République.

Mais le climat actuel n’est pas non plus étranger à ce texte qui vise également à mettre un terme aux amalgames nés après les attentats. En préambule, il pose d’ailleurs l’islamophobie comme «la conséquence de l’islamopsychose, qui est une représentation délirante, c’est-à-dire déconnectée de la réalité, de ce que sont réellement l’islam et les Français de confession musulmane». Pour la Mosquée de Paris, l’islamophobie actuelle est «assurément comparables en gravité à l’antisémitisme français de la fin du XIXème siècle».

«Dans les circonstances de l’élection présidentielle, la crise économique a exacerbé le rejet d’un certain nombre de Français qui voient la religion musulmane d’un œil négatif, inquiet, après la vague de violence qui s’est abattue sur le pays. Daech, que nous sommes les premiers à combattre, a propagé une vision cataclysmique de l’islam dans le monde», confie Dalil Boubakeur à nos confrères de l’hebdomadaire Le Point qui a dévoilé le texte.

Regarder la radicalisation en face

Pour autant, la Grande mosquée de Paris ne se détourne pas de la question des formes de radicalisation qui existent au sein de la communauté musulmane française. Pour le texte, elles sont liées à «une interprétation erronée de l’islam, reposant sur une lecture du texte sélective, partiale, et au premier degré, qui conduit à l’obscurantisme, à la pédanterie ignorante, à la misogynie, au sectarisme, et au refus des valeurs républicaines».

Proclamation de l'islam de FranceLa Grande mosquée tient aussi à nuancer, rappelant que «les prêcheurs de cette lecture égarée de l’islam sont marginaux en France, et que les croyants qui y adhèrent sont minoritaires». Elle tient ainsi à rappeler que «les trois quarts des Français de confession musulmane vivent déjà dans un islam paisible, tolérant, bienveillant, républicain et laïc.» Elle a donc tenu à publier ce texte pour «cette immense majorité des Français de confession musulmane (qui) est demandeuse de clarification de leurs droits et devoirs dans leur foi».

C’est donc bien pour les croyants qu’elle a travaillé et non pour répondre à une demande extérieure. D’ailleurs, la Grande mosquée «condamne la tendance actuelle à vouloir désigner des autorités de tutelle, n’étant pas de confession musulmane, aux fins d’encadrer avec paternalisme l’expression du fait religieux musulman dans la société française : ceci, au mépris de la liberté religieuse et de la séparation des églises et de l’Etat».

Les droits et devoirs des musulmans

Cette proclamation se présente en 25 points. Les premiers rappellent les devoirs qui incombent aux musulmans. «Nous souhaitons que les musulmans pratiquent ce que communément nous appelons la communauté du juste milieu: ne jamais aller vers l’extrémisme, tendre vers la sagesse, vers le respect du prochain, l’attachement à la loi, à l’ordre et à la paix», explique Dalil Boubakeur.

Dalil Boubakeur lors de la cérémonie de prise de fonction de François Hollande en 2012
Dalil Boubakeur lors de la cérémonie de prise de fonction de François Hollande en 2012

Il est aussi question de points sensibles comme les caricatures du prophète. «Le blasphème et la caricature religieuse sont autorisés par la loi française, l’on peut s’en déclarer blessé ou offensé mais il ne faut ni exiger leur interdiction ni réagir par la violence. Plus largement, bien évidemment, nul musulman n’a le droit d’exiger que la France modifie ses valeurs et ses lois pour convenir à sa propre foi, tout comme nul chrétien, nul juif, nul athée, nul agnostique, n’en a le droit», explique le texte.

La dénonciation du jihadisme

Enfin, la proclamation dénonce le jihadisme. «Il est explicitement interdit à tout musulman de déclencher une guerre, car ce type de jihad n’est permis qu’en situation de légitime défense contre un agresseur (Coran 2, 190). En outre, si l’adversaire est disposé à faire la paix, les musulmans ont le devoir de chercher eux aussi à obtenir la paix. Il s’ensuit que les criminels qui se prétendent
«jihadistes» sont des usurpateurs impies du jihad et par voie de conséquence, des usurpateurs impies de l’islam, qui est une religion de la paix».

Dans son dernier point, la proclamation conclut que «le jihad le plus noble est l’effort de maîtrise de soi, de dépassement de soi, pour atteindre les vertus du meilleur des musulmans».

Voici les 25 points de la «proclamation» dans leur intégralité:
1. L’islam en France n’est ni un nouvel islam, ni une innovation. L’islam en France est simplement la clarification du dogme au regard des réalités d’aujourd’hui. L’islam en France est la résultante de la réinterprétation du texte dans le contexte, c’est-à-dire l’ijtihad.

2. Tout musulman doit prendre garde à ne pas chercher sa culture religieuse auprès de sources, de prédicateurs, de prêcheurs télévisuels, qui ne sont pas reconnus par les savants les plus respectés de la communauté. Il doit préférer directement lire les écrits de tels savants. Il doit se prémunir en la matière du péché de vanité, qui consiste à donner des leçons à autrui sur ce qu’est un bon ou un mauvais musulman quand on n’a soi-même qu’une culture religieuse péremptoire, superficielle et approximative.

3. Tout musulman doit prendre garde à ne pas verser dans l’observation irréfléchie et obsessionnelle de règles sans finalité spirituelle. Tout musulman doit se prémunir des diversions superficielles, pour se concentrer sur le respect des principes moraux et spirituels de sa foi.

4. Est musulman celui qui croit en l’unicité d’Allah, dieu unique et universel, et en la révélation divine faite au dernier prophète Mohammed (paix et bénédictions soient sur lui).

5. Tout musulman a le devoir de respecter l’éthique de réciprocité : il faut en tous points traiter autrui comme l’on voudrait soi-même être traité. La tradition prophétique dit en effet : « Vous ne serez musulmans que quand vous voudrez pour les autres ce que vous voulez pour vous-mêmes».

6. Tout musulman a le devoir d’être miséricordieux : le saint Coran insiste sur la nécessité de savoir pardonner.

7. Tout musulman a un devoir de solidarité : il doit pratiquer l’aumône au bénéfice des plus pauvres, à proportion de ses moyens.

8. Tout musulman a le devoir de cultiver sa connaissance des sciences et des savoirs de tous ordres. Il s’ensuit que l’obscurantisme, le refus de la science, le refus du progrès scientifique, sont des lectures erronées de l’islam.

9. Allah a créé l’Univers et tout ce qu’il contient. Les théories scientifiques actuelles les plus avancées laissent sans réponse la question de la cause première de la naissance de l’Univers. Il s’ensuit qu’elles sont compatibles avec l’islam.

10. Allah a créé l’humanité. Il n’y a nulle contradiction entre la création de l’humanité selon le saint Coran, qui révèle métaphoriquement qu’Adam a été façonné à partir de la terre, et les théories scientifiques actuelles les plus avancées, selon lesquelles l’humanité a été façonnée au fil de l’évolution successive d’espèces terrestres.

11. Allah a créé l’humanité en la voulant fraternelle. Tout musulman doit donc militer en toutes circonstances pour la paix et contre la guerre, pour la fraternité et contre le racisme, pour les paroles de concorde et contre les paroles de haine.

12. Lorsqu’il entend quiconque asséner des mensonges et des préjugés sur ce qu’est l’islam et sur ce que sont les musulmans, la meilleure réponse d’un musulman est d’accomplir des actes de bienfaisance.

13. Comme le rappelle la tradition prophétique, la pratique de la prière ne doit en aucune manière produire du désordre ou du trouble.

14. La France n’est pas une terre d’islam : elle est une terre où coexistent plusieurs religions dont l’islam, ainsi que des habitants qui sont athées ou agnostiques. Dans ce contexte, tout musulman doit évidemment respecter les valeurs et les lois de la République française. Par exemple, puisque le blasphème et la caricature religieuse sont autorisés par la loi française, l’on peut s’en déclarer blessé ou offensé mais il ne faut ni exiger leur interdiction ni réagir par la violence. Plus largement, bien évidemment, nul musulman n’a le droit d’exiger que la France modifie ses valeurs et ses lois pour convenir à sa propre foi, tout comme nul chrétien, nul juif, nul athée, nul agnostique, n’en a le droit.

15. Au sens de la loi de 1905, la laïcité est un principe de neutralité de l’Etat, de l’administration, des services publics, et des fonctionnaires, en ce qui concerne les religions et la spiritualité. En d’autres termes, la République française ne finance aucun culte, n’accepte aucune demande formulée au nom d’un culte, ne favorise aucun culte, ne pratique pas d’ingérence dans la vie d’un culte, et se contente de donner aux communautés religieuses les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’à toute association d’habitants du pays, qu’elle soit cultuelle ou pas. Sa définition ainsi rappelée, l’existence du fait religieux musulman dans la société française est compatible avec la laïcité.

16. La laïcité n’est pas un principe d’intolérance envers la manifestation du fait religieux dans l’espace public. Celles et ceux qui veulent la redéfinir ainsi se fourvoient et méconnaissent gravement la loi de 1905.

17. Concernant les versets consacrés au devoir de chasteté et de pudeur en matière vestimentaire pour les hommes et les femmes, il faut retenir le principe général d’une tenue vestimentaire pudique en toutes circonstances, et non pas les vêtements précis qui sont cités. Il s’ensuit qu’hommes et femmes de confession musulmane ont simplement le devoir de s’habiller d’une façon décente.

18. Dans un esprit de contextualisation nécessaire aux pratiques de la foi musulmane aujourd’hui, les châtiments corporels, la polygamie, ne se justifient plus et n’ont plus lieu d’être. Dans le même esprit, l’égalité entre hommes et femmes s’impose.

19. Dans ses relations sociales, familiales et affectives, tout musulman doit faire preuve d’une maturité épanouie et responsable.

20. Dans sa vie quotidienne, tout musulman doit faire preuve de tempérance et chercher le juste milieu.

21. Tout musulman consomme de la viande halal. La souffrance animale ne saurait être admise par Allah. Il est donc nécessaire de réduire au maximum la souffrance causée à l’animal.

22. Durant le mois de Ramadan, tout musulman s’abstient de boire, de manger, d’avoir des relations sexuelles, et de fumer s’il est fumeur, depuis l’aube jusqu’au coucher du soleil, afin de commémorer la révélation coranique. En cas d’incapacité, le croyant est tenu de remplacer son jeûne par une aumône ou par le fait de jeûner un autre jour. Les personnes malades, ainsi que les femmes durant leurs menstruations et leur grossesse, sont dispensées du jeûne. La règle qui suspend le jeûne lorsque l’on est en voyage ne vaut évidemment pas pour un trajet de quelques heures en train ou en avion. En outre, le Ramadan implique que les musulmans fassent montre de respect à l’égard du voisinage: il ne faut pas importuner la population, notamment pendant la nuit.

23. Le prophète Mohammed (paix et bénédictions soient sur lui) avait proclamé lui-même, au moyen de la Constitution de Médine, que tous ceux qui croient en l’unicité d’Allah, qu’ils soient musulmans, juifs ou autres, faisaient partie de la même communauté du Livre. Il s’ensuit que toute forme d’antisémitisme est contraire à l’enseignement du prophète Mohammed lui-même (paix et bénédictions soient sur lui). Plus largement, sur son exemple, l’islam implique les vertus de tolérance et de bienveillance, car seul Dieu est juge.

24. Il est explicitement interdit à tout musulman de déclencher une guerre, car ce type de jihad n’est permis qu’en situation de légitime défense contre un agresseur (Coran 2, 190).
En outre, si l’adversaire est disposé à faire la paix, les musulmans ont le devoir de chercher eux aussi à obtenir la paix. Il s’ensuit que les criminels qui se prétendent «jihadistes» sont des usurpateurs impies du jihad et par voie de conséquence, des usurpateurs impies de l’islam, qui est une religion de la paix.

25. Le jihad le plus noble est l’effort de maîtrise de soi, de dépassement de soi, pour atteindre les vertus du meilleur des musulmans.

RR
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