En guise d’avertissement, le conférencier Inssa de N’Guizijou, archiviste aux Archives départementales, justifiait la période d’étude : «Du XVème siècle au XIXème, car en ne se concentrant que sur le XIXème, la présence française apparaît comme la principale instigatrice de l’esclavage à Mayotte, or, ce ne fut pas le cas.» Et en ne se référant plus, comme des dizaines d’expositions l’ont fait avant lui, à l’esclavage transatlantique, il fait le choix de la vérité historique, «on culpabilise toujours l’Occident, sans arriver à impliquer l’Orient. On a l’indignation sélective.»
Une raison à cela : «En indexant des esclavagistes locaux, et notamment les arabes, on met en cause la religion musulmane».
La Traite, «le commerce des individus», cohabite avec l’esclavagisme, «soumission sans contrepartie de salaire», dans notre région. Les Comores sont peu concernées dans un premier temps. La construction des beaux palais d’Oman et de Bagdad impose d’aller chercher de esclaves hors du monde musulman au VIIIème siècle, en Ethiopie ou en Erythrée. Cette traite fait 11 à 17 millions de déportés, selon l’exposition du MuMa, « les esclaves sont marqués au fer chaud, sur le corps, ou au milieu du front, en guise de signalement en cas de fuite », rajoute Inssa de N’Guizijou.
Le tri par la foi
Les portugais s’approvisionnent en esclaves dans la région pour alimenter le Brésil, incitant les Arabes à chercher plus loin, « du côté des Comores et de l’intérieur de l’Afrique. » L’Ile Bourbon (ancien nom de La Réunion) devient française, et achète de la main d’œuvre pour les exploitations de café, puis de canne à sucre. Les sultans comoriens et malgaches font des razzias sur leurs territoires réciproques.
« Lorsqu’on interroge un sultan d’Anjouan sur le choix d’asservissement de certaines personnes, il explique qu’’il existe à Madagascar des gens qui ne connaissent pas Dieu, ni David, ni le Messie, ainsi que des individus pauvres et chargés d’enfants, en les achetant, nous les conservons en vie. Notre argent soulage l’indigence’. » Il n’y a donc pas de différenciation par la couleur de peau, mais par la foi.
Ils ont obtenu un vaisseau destiné à « conquérir Mayotte, en échange de 700 noirs ». Et le sultan Andriantsouly, ancien roi Sakalave en exil à Mayotte, n’est pas en reste. Il vend Mayotte à la France, mais aussi ses sujets au Mozambique, embarqués dans un boutre, « et cela, malgré la présence française. »
Beaucoup meurent pendant les traversées
C’est paradoxalement lorsque les britanniques imposent la fin de l’esclavage, en 1817, que les besoins se font les plus forts, et que la traite va massivement toucher les Comores, « pour les besoins des usines sucrières à La Réunion. » Se développe alors une traite clandestine, « de 1817 à 1871, 54.000 esclaves sont acheminés à La Réunion, alors que les autorités françaises ferment les yeux ». Déjà !… Il faut dire que lorsque la France s’implante à Mayotte, les esclaves représentent plus de la moitié de la population.
Les négriers se tournent vers l’archipel des Comores où la surveillance anglaise se fait moins forte. Cette clandestinité plonge les esclaves dans les entrailles des navires, on les cache à fond de cale, beaucoup meurent pendant les traversées.
Le conférencier illustre d’un exemple un contrôle : « Lorsque les anglais montent à bord de ce boutre battant pavillon français, ils sont intrigués de le voir naviguer au large de Zanzibar. Les passagers embarqués à Mayotte ne semblent plus à bord. Chacun semble vaquer à ses occupations. » Mais en y regardant de plus prés, cela semble être un rôle dévolu aux esclaves en cas de contrôle, « aisément repérable, puisqu’ils ne parlaient pas le swahili. » Sur un navire négrier portugais mouillé en rade de Dzaoudzi, arraisonné par la Prévoyante, ce sont 191 esclaves dont 17 femmes, qui sont libérés.
Des enfants de 11 ans
Le traité royal du 9 décembre 1846 met du temps à être appliqué, « l’administration craignait son impact sur les riches propriétaires. » On invente donc un « engagement volontaire », « on achète leur liberté pour les asservir de nouveau ». En 1847, une révolte est étouffée par une négociation avec le meneur Songoro, qui passe alors pour un traitre, d’où le quolibet « Songoro malata ».
Les usines sucrières restent demandeuses de main d’œuvre : « Des nègres africains sont envoyés à Mayotte en 1880 comme ‘sujets libres’, et revendus aux exploitations mahoraises de Dzoumogne, Hajangua ou Dembéni. Certains sont des enfants de 11 ans, sauvés pour certains par la Mission catholique qui s’émeut de leur sort. Ils sont Mozambicains, volés, ou vendus par leurs parents. Les sultans comoriens, des orientaux, noirs ou arabes, trouvent dans ce flux nouveau, un moyen de s’enrichir. »
Selon les panneaux du MuMa, ce sont 6 millions de personnes qui ont été déplacées lors de la traite clandestine, « et les locaux ont largement profité du système », conclut Inssa de N’Guizijou.
Et pour s’approprier cette histoire spécifique, les autorités Mahoraises souhaitent proposer une autre date de commémoration de l’abolition que celle du 27 avril, « celle du 9 décembre, date du Traité royal, me semble appropriée », nous glissait hier le président du département, Soibahadine Ramadani. Pour le conférencier, cela aurait l’avantage de souligner que Mayotte a servi de laboratoire pour les autres territoires. L’abolition de l’esclavage a été déclarée à Mayotte les 1er et 9 juillet 1847. Plus tard dans les autres îles des Comores.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte