Quant la Chambre régionale des Comptes (CRC) sort un document, pas question de prendre la chose à la légère: il s’agit d’argent public et de la gestion qu’en font nos collectivités. Cette fois-ci, son rapport d’observations s’attaque à Ouangani. Et une fois encore concernant Mayotte, les sages n’ont pas dû en croire leurs yeux.
Depuis 2011, la situation financière de la commune de Ouangani est mauvaise avec un déficit structurel, et pas des moindres. Pour 2016, il est estimé à 1,5 million d’euros. Problème: l’asphyxie de la commune s’aggrave. D’un côté, les dépenses s’envolent. Depuis 2013, les coûts de personnel ont augmenté de 44%, à cause de la mise en place de l’indexation mais pas seulement. Les effectifs ont, eux aussi, progressé de… 26% !
Ouangani compte 184 agents mais seulement 4 cadres intermédiaires (un taux 5 fois moins élevé qu’en métropole) et 5 cadres supérieurs (deux fois moins que dans l’hexagone). «Cette situation peut avoir une incidence sur la gestion des services, en termes de suivi de l’absentéisme et d’organisation des services», note le rapport.
Du côté des recettes, les choses vont pourtant plutôt bien. A partir de 2014, la création de la fiscalité locale et de l’octroi de mer ont conforté les rentrées financières. Mais même avec des taux d’impôts locaux qui augmentent, les comptes restent dans le rouge. «La hausse de la fiscalité représente une recette supplémentaire de 446.166€, alors que l’impact de la majoration (l’indexation) est estimé à 447.027€», relève la chambre. Les recettes supplémentaires ne font que maintenir le déficit de fonctionnement.
Des agents aux finances non formés
Mais la situation devient catastrophique lorsqu’on regarde les dépenses fixes de la commune, «le coefficient de rigidité des charges». «Il s’élève à 76,2% en 2015», explique la chambre. Autrement dit, pour 100€ de recettes, 76,2€ servent à régler des dépenses incompressibles.
S’ajoute au panorama, une fiabilité des comptes «qui présente des lacunes», une comptabilité «tenue de manière approximative», le tout géré par un service des finances composé de trois agents qui «n’ont pas connaissance des fondamentaux de la comptabilité publique».
Diplomatiquement, la chambre indique qu’«une action de formation sur ces fragilités pourrait constituer une première piste d’amélioration dans le traitement des affaires financières». En effet.
Allo ?
Et puis, dans ce genre de rapport, il y a ces petites informations qui agacent. On découvre que le maire et le premier adjoint disposent chacun d’un véhicule de fonction ou encore que le budget de téléphonie mobile est passé de 13.000€ en 2013 à 34.000€ en 2016 avec 50 abonnements. Depuis, 20 de ces abonnements ont été résiliés soit une économie de 15.000€ par an. Pas mal, mais il en reste encore 30.
Il y a aussi l’indemnisation d’un agent parti 10 mois en formation en métropole: 10.000 euros de frais, plus les billets d’avion. Et cet agent continuait de toucher l’intégralité de son salaire (et non 85% comme le prévoit la loi) et son indexation (ce qui n’est pas la règle)… soit 15.000 euros de trop perçu «au détriment des finances de la collectivité». Depuis, la commune tente de régulariser cette situation avec «un échéancier de remboursement par l’agent à raison de 100€ par mois». Sur cette base, il devrait mettre plus de… 12 ans pour rembourser l’indu. La chambre suggère d’aller plus vite. Evidemment.
La bibliothèque qui valait 1 million
Grosses et petites anormalités mises bout à bout, il devient de plus en plus difficile pour la commune d’investir. Et pourtant! Après avoir lu 15 pages accablantes, le rapport réserve encore 4 pages supplémentaires uniquement consacrées à la bibliothèque de Barakani. Et 4 pages, c’est long pour la chambre régionale des comptes qui a l’habitude de n’employer que les mots nécessaires. Autrement dit, ces 4 pages détaillent ce que l’on peut qualifier de véritable scandale.
Ouangani dispose à Barakani d’une bibliothèque depuis 1992 mais elle a été agrandie. Les sages de la CRC ont trouvé le coût de ces travaux tellement astronomiques qu’ils les ont calculé au mètre carré. La bibliothèqe a une superficie de 130 m2, elle a coûté un peu plus d’1 million d’euros au total… soit 7.600 euros pour chaque mètre carré! Et il n’y a même pas de marbre au sol.
Une bibliothèque avec 58 inscrits
Cette bibliothèque a été réalisée en deux phases, en 2010 et en 2015, et tout n’est pas clair: «des marchés comportent des prestations similaires réputées avoir été réalisées dans la première phase», comme l’aménagement des trottoirs pour accès handicapés (30.250€) ou la valorisation environnementale de la bibliothèque (64.125€ !!).
Contournement des règles de la commande publique, pas de plan de financement, pas de cahier des charges en 2015, marchés passés sans publicité… Dans ce grand n’importe quoi, la chambre a même trouvé des prestations qui ont finalement concerné d’autres opérations. Et pour couronner le tout, «des travaux réalisés dans le cadre des marchés lancés en 2015 ont été facturés alors qu’il est difficile de s’assurer de leur réalisation effective».
Mais malheureusement, une fois la bibliothèque achevée, la commune n’a pas cru nécessaire d’aller au bout de la démarche et d’acheter des livres. Depuis 2013, elle a royalement accordé un budget pour l’acquisition d’ouvrages de… 782 euros. Véridique.
Le tout, pour un nombre d’inscrits parfaitement ridicule: 58. Mais la commune est prête à tout pour faire lire ses administrés. Cette équipement n’était peut-être pas encore suffisant, alors, depuis, Ouangani a acheté un «bibliobus» grâce à un financement de l’Etat (24.500 euros).
Fin 2016, la ville a tout de même engagé 21.100 euros pour compléter son fonds de livres et s’est doté d’un logiciel de traitement documentaire (10.200 euros). «La chambre prend acte des efforts de la collectivité pour renforcer l’attractivité de cet équipement» mais souligne, une fois encore, «que les investissements engagés pour un montant de plus de 50.000 € apparaissent élevés.»
A Ouangani, on a la passion des livres, mais pas des livres de comptes.
Rémi Rozié
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