Les trois coups de ce vendredi culturel s’ouvraient sur le théâtre, puisque la dramaturge Anne-Violaine Taconet intervenait sur « Un théâtre élitaire pour tous est-il possible ? » On a tous envie de répondre « oui » à cet oxymore qui oppose l’élite au reste du monde.
Devant un public parsemé, et c’est bien dommage, mais d’étudiants passionnés de théâtre, la conférencière choisissait celui par qui la démocratisation du théâtre est arrivé, Jean Vilar. Créateur du Festival d’Avignon en 1947 qu’il dirige jusqu’à sa mort en 1971, il dit à propos du théâtre : « Il doit séduire avant de convaincre ».
« C’est la magie du jeu qui prévalait, le décor dépouillé, les gestes simplifiés des comédiens, tout est fait pour rendre la représentation accessible à tous », décortique Anne-Violaine Taconet. Elle rappelle que l’acteur fétiche de Jean Vilar, Gérard Philippe, « humble, modeste », « jouait tout sauf les stars ». On l’a paraît-il vu plus d’une fois participer aux festivités dansantes d’après spectacle parmi le public. Qui adhère, puisqu’en 1947, le Festival compte 10.000 spectateurs, et 120.000 en 1964.
« 64% des spectateurs avaient moins de 30 ans, et on comptait 30% de néophytes. Vilar défend l’idée que la culture est un service public autant que l’eau et le gaz, et propose donc des places à prix modique. »
Les étudiants Mahorais applaudissent Mnouchkine
Il provoque alors une réflexion sur le théâtre populaire à laquelle participent hommes et femmes d’horizons très différents, ce qui va permettre l’éclosion des théâtres nationaux, comme Villeurbanne ou Chaillot. Les Cemea, présents à Mayotte, sont partie prenante dès 1947, et encore aujourd’hui, initie à la culture théâtrale et à l’art vivant. « Les jeunes sont accueillis en internat, se confrontent au travail des metteurs en scène ».
Entretemps, le Festival a éclaté, il y en a pour tous les goûts, avec un « In » où gravitent des artistes déjà repérés (peut-être au Off ?!), et le Off, un énorme marché où 1.400 spectacles sont programmés cette année.
Une femme joue sur la même corde que Jean Vilar, Ariane Mnouchkine, qui aura 80 ans dans deux ans, propose des spectacles dans les HLM, « pour sensibiliser une population peu familière avec l’art du théâtre. » Lors du déplacement culturel annuel en métropole, certains étudiants de Mayotte ont pu assister à la représentation de sa dernière pièce « Une chambre en Inde » : « Ils ont été subjugués du début à la fin, et pourtant, il dure 3 heures ! », se souvient Anne-Violaine Taconet, qui les avait accompagné avec Jean-Louis Rose, Responsable du Pôle Culture et enseignant de Lettres modernes au CUFR. Un spectacle qui se joue jusqu’en juillet 2017, « à guichets fermés. »
Une visionnaire
La méthode est différente de Jean Vilar, puisqu’elle bâtit une pièce sur un travail collectif avec la population. Le danger, c’est d’amener l’art au niveau de la rue, au lieu de l’inverse. Il n’en est rien, explique la dramaturge, « paradoxalement, il s’agit d’un théâtre très référencé, et lorsqu’elle utilise des thèmes comme les attentats ou Daesh, elle se garde de tomber dans tout simplisme. Elle utilise même la farce, qui nous vient du moyen âge, pour aider à la compréhension de son propos. »
C’est une visionnaire qui monte un Tartuffe inspiré de la civilisation orientale en s’interrogeant sur le fondamentalisme musulman, en… 1995. Idem, en 2003, elle écrit « Caravansérail », sur la question des migrants.
Pour compléter son action, Ariane Mnouchkine crée à Pondichéry (Inde), l’ « Ecole nomade », où quelques comédiens forment une centaine de personnes. Elle s’inspire de Molière et de Pouchkine, « un théâtre exigeant pour les acteurs qui travaillent parfois 15 heures par jour », et pour le Théâtre du Soleil, créé en 1964, puise ses sources dans le théâtre oriental.
Et grande nouvelle ! Jean-Louis Rose et Anne-Vilaine Taconet ont évoqué Mayotte avec la metteur en scène, « elle a été séduite, et a décidé de venir pour importer son Ecole nomade ». Sa décision est prise, mais la date encore incertaine, « au plus tôt mai 2018 ». Elle sera accompagnée de douze comédiens pour former 100 personnes, scolaires ou autre, sur plusieurs semaines. « Cette expérience peut impulser quelque chose de fondamental à Mayotte ! »
Choc et compréhension
Et Fatima Idarranssi, une des étudiantes présentes à la conférence, ne dira pas le contraire. En 2ème année de Lettres modernes, elle est passionnée de théâtre, « toute petite, je faisais le pitre en imitant mes camarades. Puis, j’ai fait un remplacement dans une petite pièce scolaire, et on a trouvé que je m’en sortais bien ». Elle joue dans une petite troupe de Mtsapéré, Mlezi, et était du voyage en métropole. « J’adore le théâtre, parce qu’on peut partager l’art et la connaissance avec les autres. » Et tournera bientôt une série TV.
A Mayotte, Anne-Violaine Taconet avait lancé l’opération « Lycéens au théâtre » en 2013 qui avait permis de monter deux pièces, « Candide l’Africain », « les élèves se sont reconnus, les codes étaient faciles », et « Quartett », d’Heiner Müller, où l’évocation d’un univers sexuel brutal « avait toutes les chances de les choquer, mais un choc ne doit pas être un traumatisme. Il faut préparer, et en discuter ensuite. »
Répondant à sa question initiale, la dramaturge en concluait que le théâtre n’est donc pas élitiste, « mais il faut éduquer ». A quand toutes ces disciplines artistique enseignées à haut niveau dans les écoles ?
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte