«Monsieur le Président de la République, nous voulons que nos enfants puissent accéder aux grandes écoles (Sciences Po, ENA…) et prétendre aux plus hautes fonctions de l’Etat.» C’est une lettre grave et touchante qu’écrivent les parents d’élèves de l’école de Barakani à Emmanuel Macron. Si le nouveau président est né dans une famille de médecins, il est aussi le produit de la méritocratie française, après avoir fréquenté des écoles parmi les plus prestigieuses de la République.
Alors, à 8.500 kilomètres de l’Elysée aussi, les parents veulent pouvoir rêver à des parcours d’excellence pour les jeunes Mahorais. «Nous vous demandons de garantir l’égalité des chances à nos enfants, en mettant en place les moyens nécessaires pour leur réussite», écrivent-ils simplement.
Sur deux pages, ils dressent l’état des lieux, que nous connaissons malheureusement bien, du système éducatif dans notre département. Ils n’ont pas besoin d’en rajouter. Les informations parlent d’elles-mêmes et depuis longtemps. Tout juste s’autorisent-ils à préciser: «Nous ne voyons pas le bout du tunnel».
Les besoins et les savoirs fondamentaux
Ils rappellent que 40 % des enfants qui entrent en 6e ne maîtrisent pas les fondamentaux et que les enfants allophones, arrivant tous les jours, ne sont pas assez pris en charge ni dans le 1er degré ni dans le 2nd degré.
«Pas de réfectoire pour nos enfants des écoles primaires, pas d’activités périscolaires, pas assez de salles de classes pour scolariser correctement nos enfants, alors que les fonds ont été débloqués pour les construire. Les matériels collectifs, dans les écoles sont rares». L’informatique aussi «fait gravement défaut» empêchant les enfants «de toucher à un ordinateur dans ces écoles primaires.»
Quant aux salles de classes, aucune n’est habilitée à recevoir des élèves «car ces écoles n’ont pas d’avis favorable de la commission de sécurité et d’hygiène».
Les rythmes en question
Ils tiennent aussi à préciser que «dans la commune de Ouangani, des moyens ont été alloués pour mettre en place les rythmes scolaires. Malheureusement nos enfants n’ont jamais profité de ces moyens.»
Pour autant, ils ne veulent pas nécessairement revenir aux anciens rythmes, comme le permettrait le nouveau président. A Barakani, cela se traduirait par un retour à 5 heures de classe en continu. «Laisser aux élus mahorais le choix d’appliquer les rythmes scolaires ou pas, va inciter les maires à prendre la solution de facilité. Nous avons peur que ces choix créent à Mayotte, une école à triple voire quadruple vitesse, en accentuant les discriminations».
12 élèves par classe… chiche !
Ils expriment aussi la crainte d’une nouvelle discrimination. «Dans votre programme vous dites ‘Pas plus de 12 élèves par classes dans les CP et CE1 dans les zones prioritaires’. Quand on sait que dans les classes de CP et CE1 de Mayotte, il y a en moyenne plus de 25 élèves, c’est une mesure que nous attendons tous, tant nos classes sont surchargées. Mais nous nous demandons comment allez-vous mettre en place cette mesure à Mayotte, pour donner les mêmes chances à tous nos enfants?»
Car si à Barakani comme ailleurs dans le département les classes sont déjà bien remplies, il manque encore plus de 300 salles pour mettre un terme aux rotations. «Comment votre gouvernement va construire plus de 600 salles de classes supplémentaires rien que pour les CP et CE1, à la rentrée 2017-2018? Ou bien nous devons comprendre que cette mesure sera mise en place en France hexagonale, sauf à Mayotte? En creusant toujours plus les écarts entre nos enfants et les autres.»
Les parents ne sont pas dupes sur certaines de causes de ce panorama. «Malgré toutes nos démarches, rien n’a changé. Cet immobilisme est dû essentiellement aux élus locaux, qui ne veulent pas prendre l’éducation de nos enfants au sérieux.»
L’école du possible
Les parents présentent leurs félicitations à Emmanuel Macron et espèrent que son arrivée à l’Elysée «va se traduire concrètement par l’amélioration des conditions de travail de nos enfants dans les écoles de la République dans la commune de Ouangani.»
C’est donc un nouveau cri du cœur en provenance de Mayotte qui est adressé au nouveau président. De façon nettement plus directe, l’ensemble des syndicats de l’Education nationale ont déjà eu l’occasion de sensibiliser le président et ses équipes à ces questions. Le SNUipp lance même un préavis de grève dès le mardi 6 juin, à cinq jours du 1er tour des élections législatives, avec dans sa liste de revendications, de nombreuses demandes des parents de Ouangani.
Car sans nul doute, il faudra attendre encore longtemps pour que, comme les habitants d’Amiens, les parents de Barakani soient fiers de leurs enfants énarques.
RR
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