La publication des Archives remet les pendules à l’heure de l’Histoire, à commencer par cette citation de Jules Ferry qui avance que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures (…) Il y a pour les races supérieures le devoir de civiliser les races inférieures. » Même replacé dans le contexte de 1885, il y a fort à parier qu’aucun établissement scolaires de Mayotte ne souhaitera apposer le patronyme de Jules ferry sur son fronton…
« Une des justifications de l’expansion coloniale a été la volonté d’apporter la civilisation aux peuples insoumis », ainsi débute la publication des Archives départementales, qui s’interroge : s’agit-il de « libérer les indigènes de leur supposée barbarie ? Les amener au niveau du colonisateur ? Mais jusqu’à quel point ? Certainement pas jusqu’à mettre en danger la domination coloniale. »
Nous avons donc dès le départ un point de vue lucide des enjeux politiques et coloniaux de l’école comme mission civilisatrice. Il nous éclaire aussi sur les incidences qu’elle pouvait avoir sur la société. Des interrogations toujours d’actualité.
Un nouveau modèle sans précaution d’usage
On s’interrogeait par exemple dès la fin du XIXème siècle sur la déstabilisation sociale qui pouvait découler de ce nouvel enseignement européen.
Son impact en terme de conséquences morales sur l’indigène, avait déjà été souligné par Gustave Le Bon en 1889 : « Il a perdu la morale de ses pères, sans avoir adopté les principes de conduite et les qualités de caractère d’un Européen. Il était jadis dépourvus de besoins. Sa nouvelle éducation lui en crée une foule qu’il ne connaissait pas, sans lui donner les moyens de les satisfaire. Il méprise ses frères, mais se sent méprisé par ses maîtres. Il n’a plus de place dans la société, se trouve misérable, et devient forcément implacable envers ceux qui lui ont donné cette funeste éducation. »
Une nécessaire adaptation donc, que théorise Georges Hardy en 1917, en proposant plusieurs principes, dont l’adaptation aux besoins du pays et le maintient d’un accord entre l’école et le milieu familial et religieux.
80 élèves en 1921
L’adaptation de l’enseignement induira deux niveaux scolaires, un « enseignement indigène orienté vers les contenus professionnels et utilitaires », et un enseignement réservé aux « Européens et assimilés », qui délivre les même diplômes qu’en Métropole. Le document des Archives fait à ce propos un parallèle avec une situation identique en Métropole jusque dans les années 1950, où l’enseignement secondaire reste encore un privilège de la bourgeoisie.
On y découvrira les balbutiements de l’école : les premières sont décriées, parce que fondées en 1845 par les congrégations religieuses, alors que les autres, laïques, manquent de stabilité, et ne s’implanteront véritablement qu’en 1905, et encore timidement. Dans l’Entre deux Guerres, il n’y a toujours que 3 écoles, soit 80 élèves au total à Mayotte en 1921. Ce qui amène l’auteur à un constat de « fiasco » de la période coloniale dans le domaine scolaire.
Difficile conciliation entre massification et qualité de l’enseignement
Les contraintes budgétaires, les rémunérations insuffisantes des enseignants, sont parmi les principales fautives, mais on lira dans la publication l’ensemble des raisons d’un échec. Dont les conséquences ont été impitoyables : « Le manque de personnels qualifiés pour contribuer au développement et à l’administration de l’île. »
La situation ne s’est pas franchement améliorée avec la fin de la période coloniale en 1946, lors de l’autonomie administrative de l’archipel des Comores. L’effort de rattrapage date de 1976, donc assez récemment, avec la scolarisation obligatoire, aboutissant à la massification du système éducatif dans les années 80. Avec un défi actuel : « Une problématique de qualité », alors que les effectifs à scolariser ont été multipliés par 15 de 1976 (5.000) à 2014 (87.000).
Destiné principalement aux enseignants du second degré, c’est aussi pour le grand public* une mine de connaissance sur l’Histoire de l’île, et la compréhension de sa société.
Les documents principaux sont abondés de connaissances approfondies, avec une vision objective du « Rôle essentiel des congrégations », tout en soulignant l’objectif ambigu des politiques de les maintenir en place, et sur ces concurrentes de l’enseignement officiel qu’étaient « les Ecoles musulmanes », « beaucoup plus fréquentées », ou sur la scolarisation « Des élèves comoriens et mahorais à Madagascar au début du XXème siècle ».
Egalement des témoignages d’ancien élèves, dont l’actuel président du département, Soibahadine Ibrahim Ramadani, depuis ses 3 ans, lorsqu’il était scolarisé à l’Ecole coranique.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* En vente à la Maison des Livres et à la Bouquinerie de Passamainty