Dès le 1er extrait de pièce, nous ne sommes plus dans des tirades hésitantes mais dans un phrasé assuré des quatre apprenties comédiennes, malgré l’exigeante tragédie de Racine, pour partager la souffrance de Phèdre, « que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent », dans son amour à sens unique pour Hippolyte. Le temps en tout cas de se dire qu’on est en manque à Mayotte de ce genre de pièce indémodable.
Difficile d’entrer dans la pièce suivante, jouée par les secondes, et un décryptage avec une introduction à ce tumulte annonciateur par le titre, Orage, d’Auguste Strindberg, aurait été le bienvenu. Mais les dialogues entre les élèves « tu as laissé ta vie et tes biens ! » – « Mais mon honneur, l’ai-je perdu ? », assurait la séduction des spectateurs, essentiellement des collégiens et lycéens et leurs parents, très réceptifs, tout acquis à la cause du théâtre, une ambiance qui portait les acteurs.
La mise en scène a délibérément pris le parti de transformer cette pièce de théâtre de chambre, et théâtre de salle, puisque les comédiens, tapis parmi les spectateurs qu’ils sollicitaient, déplaçait la scène de ce vieil homme aigri, qui voit revenir son ex-épouse dans sa « maison du silence » qui va trembler sous l’orage.
On rit jaune entre maîtres et valets
La première œuvre à regarder le théâtre de haut, c’est la « Relation maître-valet », jouée par les 1ère du lycée Bamana. Un lien exploité notamment par Molière et Beaumarchais et revisité là, pour arriver jusqu’au bout du bout de l’exaspération, la mort. Histoire de pousser le rire habituellement sollicité dans les fourberies de Scapin, jusqu’au cynisme, « ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant. »
Et la parole devient arme dans la bouche des valets, qui n’usent plus de stratagèmes plaisants pour arriver à leur fin et retourner leurs maîtres, mais disent leurs souffrance : « Nous adorons Madame. Madame est bonne, belle et douce. Mais Madame nous tue avec sa bonté », et singeant sa maîtresse s’adressant à son personnel, « Vous me détestez, vous m’écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. »
Théâtre et politique
Les Terminales enfin offraient une pièce complexe, au programme du Bac pour l’option théâtre, « Les illusions comiques », d’Olivier Py. C’est une vision politique du théâtre et de la place que prend la parole. On en attend simplement du théâtre ou bien des prises de position ? Et jusqu’où dans ce cas ? Le poète est ainsi pris dans un tourbillon tant sa parole est épluchée, reconnue, adoubée. Il s’agit ici d’une prise de position sur… le hareng fumé. « Mais tout est idéologique », s’exclame des partisans du sens, « Le poète est celui qui ose l’appropriation du monde ». Mais le « monde » va le perdre.
Car lui qui ne demandait pas plus que d’exercer son métier, « il y a de la parole dans la parole », finit par être jugé et condamné.
« Une pièce très compliquée, qui parle de théâtre de manière politique, du théâtre dans le théâtre, que les lycéens ont du s’approprier », glisse à l’issue de la représentation Anne-Claire Higgings, l’enseignante qui a travaillé avec ses élèves en résidence d’artistes avec la compagnie M Comme, trois fois dans l’année.
Quant au superbe travail fait sur les trois autres pièces, Laure Noutat qui les chapeaute depuis 3 ans, était noyée dans les bras de ses élèves, pour des larmes collectives en guise d’adieu, puisqu’elle part vers de nouveaux horizons nord-américains.
Il faut à tout prix faire jouer ces extraits de pièces pour les établissements scolaires de l’île. Histoire de découvrir l’amour du théâtre bien fait.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte