Ce matin, les avocats de Mayotte ont mené un mouvement à contrecœur. S’installant sur les bancs de la salle d’audience de la Session des Assises de juin, ils en ont empêché la tenue. Pas de gaité de cœur, donc, « nous avons tous des clients qui attendent depuis de nombreuses années ce jugement, mais nous ne sommes pas considérés, tout le monde à des badges d’accès, même les stagiaires », reprochait très calmement à la barre le bâtonnier Me Ahmed Idriss.
Une plaidoirie consensuelle, à son image, et pour le compte du barreau de Mayotte dont 19 avocats sur 32 (dont 26 actifs uniquement sur Mayotte) étaient présents.
Il retraçait les nombreuses démarches effectuées et pour lesquelles les médias ont été régulièrement sollicités : « En novembre 2016, à la suite du dépôt d’une motion, les chefs de juridiction nous ont fait la promesse qu’on aurait ces badges. N’ayant rien obtenu en janvier 2017, nous avons de nouveau été reçus, après avoir contacté les président et vice-président de la Conférence des bâtonniers, 15 badges sont annoncés. Le procureur Miansoni en avril s’engage à son tour, ‘les avocats sont chez eux ici’, sur la même longueur d’onde que le président Sabatier. Mais nous n’avons toujours rien. »
Peu de date d’Assises
Le 26 mai, ils décident d’un préavis de grève, et sont reçus le 1er juin par le président du TGI et le procureur pour un échange de 3h, « on s’engage cette fois par écrit à nous les fournir le 9 juin au plus tard, alors que nous n’avions pas demandé de date buttoir. »
Un barreau commun avec celui de La Réunion où tous les avocats sont détenteurs d’un badge, avance-t-il. Un badge devenu un symbole dans leur bouche comme le font ensuite remonter ses collègues : « Depuis l’érection du nouveau Palais de Justice, nous n’avons plus de lieu d’entretien de confidentialité avec nos clients, et le local qui nous est réservé sent l’urine. Il n’y a pas non plus de fax pour les requêtes du Juge des Libertés et de la Détention des étrangers. »
On se serait presque cru à une audience jugeant du fonctionnement du tribunal avec la prise de parole ensuite de l’avocat général Robert Ampuy : « Je prends acte de ce sujet sur lequel notre juridiction d’Assises n’a aucune prise. Je souhaite juste souligner que des mineurs sont détenus, en attente d’être jugés, et que leurs victimes sont présentes. Nous allons être obligés de renvoyer à une date ultérieure, sans avoir la possibilité de dépasser 4 audiences d’Assises par an à Mayotte. »
Bloqués à Roissy
Une problématique à laquelle les avocats sont d’autant plus sensibilisés que la cliente de l’un d’entre eux attendait ce procès depuis 2013 pour des faits de brûlure par conjoint et devant leur enfant. Après les explications gênées de l’avocate, la jeune femme est repartie en pleurs.
Contacté par le JDM, le président Sabatier explique cet incroyable retard depuis plusieurs mois : « Les badges avaient été annoncés livrés au barreau pour le samedi 3 juin. Connaissant les problèmes d’acheminement ici, nous avons pris une marge en les annonçant configurés pour le 9 juin. Mais ils ne sont toujours pas arrivés par avion. Selon nos informations, ils seraient bloqués à Roissy. Le mandataire privé qui nous fabrique les badges en métropole n’a apparemment pas répondu favorablement à notre opérateur local. Notre promesse écrite n’a donc pas été respectée, mais on ne sait pourquoi ils sont bloqués à Roissy. »
Il demande aux avocats de comprendre ce problème de délai, « qu’ils connaissent lorsqu’ils sont obligés de demander le renvoi d’une affaire. »
Le président de l’audience d’Assises Maurice de Thévenard examinait les dossiers qui pouvaient être retenus, parmi les affaires sur intérêts civils, les Assises ne débutant véritablement que lundi. Les prévenus en détention provisoire étaient réacheminés vers Majicavo.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte