« On votera pour ceux qui se sont battus pour Mayotte ! », c’est le message qui circule chez ceux qui comptent voter au second tour. Tout le monde appelant à faire baisser le taux d’abstention de 57,31% du 1er tour. Les tendances ne vont que rarement en s’améliorant pourtant entre les deux tours, elle avait même chuté d’un point en France lors des législatives de 2012.
JDM : Quand et pourquoi êtes-vous entré(e) en politique ?
Ramlati Ali, médecin, 56 ans depuis le 28 mai : « Je suis tombée dans la soupe en 2008 lorsque, arrivant de Mamoudzou en Petite Terre, on m’a demandé de postuler pour la mairie de Pamandzi. J’y ai été maire de 2008 à 2014. »
Ibrahim Boinahery, statisticien, 51 ans : « Je me suis dit que je pourrai apporter quelque chose à ma commune de Tsingoni, dont j’ai été élu maire en 2008, puis quasiment aussitôt, j’ai pris la présidence de l’Association des Maires de Mayotte. »
Elad Chakrina, avocat, 36 ans : « Lorsque je suis revenu de métropole en 2013, je me suis dit qu’il fallait proposer à la jeunesse un avenir meilleur. Depuis 2014, je suis conseiller municipal de la majorité à Tsingoni. »
Mansour Kamardine, avocat, 58 ans : « Dès le lycée, j’ai été entrainé par un cousin, feu Tadjidine Charif, et mon père était un fervent partisan de Mayotte Française aux côtés de Younoussa Bamana. J’ai été maire de Sada de 1983 à 1991, puis conseiller départemental de 1994 à 2008, et député de 2002 à 2007. »
Avec quelles avancées pour Mayotte ?
Ibrahim Boinahery : « La fin de ma mandature a été marquée par la sortie de la commune de Tsingoni de la tutelle de la Chambre régionale des Comptes. C’est la conséquence d’une démarche de long terme, qui s’est traduite par l’adoption d’un Plan de projet territorial d’investissements sur les 30 ans à venir, avec 70 fiches d’action et leur plan d’investissements. Nous avons d’ailleurs été la commune leader en terme d’investissements en 2013, produisant notamment le RHI* et 4 MJC*. »
Elad Chakrina : « J’ai mis en place le COSEM, le Conseil de Quartier pour la Sécurité de Mayotte, qui agit à la fois sur le lien entre habitants pour lutter contre la délinquance, mais aussi sur la médiation et les relations inter-villages. »
Ramlati Ali : « J’ai contribué à la mise en place du 1er Centre communal d’action sociale de Mayotte à Pamandzi, en incitant les autres communes à nous imiter. L’assainissement avec la mise en place du réseau d’eaux pluviales a été le deuxième acquis, que j’ai fait porter par le conseil départemental, et pour lequel nous avons obtenu des fonds Feder en 2010. Enfin, j’ai monté le 1er dossier ANRU, de rénovation urbaine, pour Petite Terre, sans me cantonner à ma seule commune de Pamandzi. »
Mansour Kamardine : « Houlà ! La liste est longue. J’ai fait inscrire Mayotte dans la Constitution française par la loi du 29 mars 2003, j’ai fait modifier la Charte des Jeux des Iles de l’océan Indien qui permet à Mayotte d’y participer sous son identité propre, j’ai mis en place la Caisse de Sécurité sociale de Mayotte, la revalorisation du SMIG de 450€ en 2002 à 1.000 euros en fin de mandat, l’extension de la fonction publique de droit commun qui a permis à 5.000 agents mahorais d’être intégrés dans la fonction publique d’Etat, le déplafonnement des allocations familiales, la revalorisation des allocations vieillesse et handicapées, et la création des 3 chambres consulaires à partir de la Chambre professionnelle. »
Quels sont les failles du territoire les plus frustrantes pour vous ?
Elad Chakrina : « L’inaction de manière générale, l’impression que Mayotte régresse et détruit ce qui a été construit. »
Ramlati Ali : « Ce n’est pas un retard mais une dégradation qui me frustre le plus, celle liée à la délinquance. Mayotte, c’était pas loin d’être le paradis dans ce domaine il n’y a pas si longtemps, nous dormions les fenêtres ouvertes. Or, nous avons vu venir les choses. En 2009, lors de la grève des Citoyens perdus en Petite Terre, la forme que prenaient les actions m’a interpellée. J’ai demandé une Zone de Sécurité prioritaire, et j’ai pris un arrêté, impopulaire alors, sur la circulation des mineurs. Nous avons vu venir, mais n’avons rien fait. C’est frustrant. »
Mansour Kamardine : « C’est l’état de l’école. Nous construisons Mayotte sans la participation des Mahorais car ils ne sont pas éduqués, pas formés. Avec 36 élèves par classe, nous n’avons pas des écoles primaires mais des garderies uniquement pour donner le change et éviter le clash social. C’est une insulte qu’on fait à la jeune génération. Nous n’avons pas de préfet ou d’ingénieur mahorais car nous n’avons pas les mêmes armes que les jeunes parisiens. »
Ibrahim Boinahery : « C’est le déficit en investissement. Car c’est le moteur de développement économique, et donc de l’emploi, dont la relance doit passer par la commande publique qui est atone depuis 2004. Il faut des Plans d’investissent prévisionnels à l’échelle du territoire. »
Les deux priorités qui guideront votre mandat ?
Mansour Kamardine : « Et bien, évidemment, le combat pour l’école. Auquel j’ajouterai la lutte contre l’insécurité pour laquelle il faut commencer par endiguer l’immigration clandestine. La 3ème puissance maritime n’arrive pas à contrôler les arrivées depuis Anjouan ! Les radars, les effectifs promis ne sont pas au rendez-vous.
Il faut aussi se battre pour une égalité sociale pour percevoir les mêmes allocations familiales, vieillesses et handicapée. »
Ibrahim Boinahery : « La sécurité, compte tenu des insuffisances que je connais bien. Je suis aussi bien placé comme président du SDAGE pour relever le défi de la gestion de l’eau. Enfin, ma formation de base de statisticien me permet d’analyser les manquements du territoire. »
Ramlati Ali : « Nous avons une carte à jouer en terme de sécurité. A un moment, la métropole va devoir sortir de l’état d’urgence, il va donc falloir légiférer. Il faut se mettre dans la boucle dès maintenant. L’autre point est la structuration du territoire : nous avons déjà le Pacte pour la départementalisation, Mayotte 2025, la Loi Egalité réelle, mais nos institutions sont toujours gérées par La Réunion. Nous en sommes une sous-région. »
Elad Chakrina : « La lutte contre l’insécurité en augmentant le nombre de policiers et gendarmes à la démographie. Et en créant une brigade de gendarmerie et un Centre Educatif fermé qui n’a toujours pas été budgétisé. Mon deuxième combat portera sur la valorisation des ressources locales, dont le tourisme, qui ne sera faisable qu’avec le désenclavement de la piste longue. Un investissement de 220 M€ qui peut se réaliser par le biais d’un partenariat public-privé. »
Quelle sera votre position par rapport au groupe parlementaire de la République En Marche ?
Ramlati Ali : « Ce sera une main tendue. Mayotte n’aura rien à perdre, mais tout à gagner à se positionner comme tel. Or, j’ai besoin qu’on aide Mayotte. »
Elad Chakrina : « Une main tendue bien sûr, nous avons besoin de relais efficaces pour défendre les dossiers de Mayotte. Et le premier ministre étant LR, ce ralliement est naturel. Mais je ne voterai rien qui n’aille dans le sens de l’intérêt des Mahorais.
Mansour Kamardine : « Avec un premier ministre LR, je m’inscris dans la construction, pas dans l’opposition. Et le chantier de la modernisation du code du travail me parle. Par contre, s’il s’agit de textes comme par exemple l’abolition du visa Balladur, je m’y opposerai. »
Ibrahim Boinahery : « Mon parti le MDM est centriste, donc je rallierai cette majorité**. »
Enfin, comptez-vous travailler de concert avec le député de l’autre circonscription quelque soit son parti politique ?
Ibrahim Boinahery : « L’avantage, c’est que je connais très bien les deux candidats : Ramlati Ali avec laquelle j’ai travaillé au sein de l’AMM, et Elad Chakrina qui était sur la même liste électorale que moi lors des municipales en 2014. »
Elad Chakrina : « Arrivés à Paris, nous parlerons s’une seule et même voix pour obtenir gain de cause. »
Mansour Kamardine : « Je ne choisis pas les élus, c’est le peuple. Nous sommes tous élus de la République, à nous de travailler ensemble. D’ailleurs, quand j’étais député, ma réserve parlementaire a été distribuée en subventions à des communes de droite, du centre ou socialiste. »
Ramlati Ali : « Je vais vous livrer un scoop : je compte mettre en place un Bureau de coordination des parlementaires Mahorais à Paris, pour qu’avec les deux sénateurs, nous puissions travailler pour l’avenir de Mayotte tout en conservant sa couleur politique. »
Le parti d’Emmanuel Macron devrait donc pouvoir compter sur une majorité débordant de ses propres bancs de l’Assemblée nationale.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* RHI : Résorption de l’Habitat Indigne
MJC : Maison des Jeunes et de la Culture
ANRU : Agence nationale pour la Rénovation Urbaine
SDAGE : Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux
MDM : Mouvement pour le Développement de Mayotte
AMM : Association des Maires de Mayotte
** Rappelons qu’Ibrahim Boinahery a été mis en examen pour motif de détournement de fonds publics, d’atteinte à la liberté d’accès et à l’ égalité des candidats à un marché public, de faux et usage de faux en écriture publique et de corruption passive. Et qu’il est présumé non coupable jusqu’à son procès.