La conférence se tient au milieu des bruits de truelles qui creusent, de boules d’argile qu’on broie pour en modeler des poteries : les Journées de l’Archéologies, vont bon train, au point où plus de 200 jeunes ont défilé au Musée de Mayotte, autour des bacs d’initiation à la fouille ces jeudis et vendredis, se félicite Ben Saïd Abdoulkarim, en charge du MuMa, « un succès inédit qui prouve que l’organisation avec les écoles, qui arrivaient même de Grande Terre, s’est améliorée. »
Avec une narration pationnée, à mi-chemin entre un Alain Decaux et un Jean-Christophe Victor du « Dessous des cartes », l’archéologue Mickael Rakotozonia tient un sac poubelle à la main, et déverse aux pieds de son auditoire un tas de déchets ramassé sur le trottoir : « Qu’est ce qu’ils vous apprennent ? » Un peu interloqués, ils comprennent vite qu’il s’agit d’analyser la provenance de ces canettes THB, de cette bouteille de Coca, cette tong cassée ou cette boite de thé. Et de se mettre dans la peau d’archéologues des siècles futurs : « Un jus de fruit provenant de Dubaï, un Coca importé des Etats-Unis, du thé chinois… Nous pourrions en déduire que Mayotte est une place tournante du commerce international, surtout de produits en provenance du Moyen Orient, mais sans avoir aucune trace de pouvoir français, hormis les bâtiments administratif. »
L’importation, c’est par container, et les containers, c’est Longoni. L’archéologue va donc reprendre les lignes de trafic maritime de CMA CGM, car si le passé permet de comprendre le présent, « comprendre le présent, c’est comprendre le passé. C’est le commerce et les intérêts stratégiques qui expliquent les déplacements de populations et des marchandises. »
Une céramique de Dembéni identique à celles d’Afghanistan
C’est le gaz et le pétrole dans la région qui attirent actuellement les convoitises des Chinois, des nord-américains, « les Etats Unis entrainent l’armée comorienne, et s’implantent peu à peu pour contrôle les routes maritimes de la région », et l’Europe contre-attaque, les financements de projets à Mayotte seraient donc stratégiques.
Revenons au passé. Le sketch de départ ayant désacralisé le métier, on comprend que les archéologues ne sont en réalité que des fouineurs de décharges. Des décharges très anciennes, puisqu’en règle générale, plus on creuse, plus on remonte dans le temps. Spécialiste de l’Afghanistan, Mickael Rakotozonia s’intéresse à Mayotte lorsqu’il voit une photo postée sur le net par l’archéologue Martial Pauly, « une céramique islamique identique à celles qu’on trouve là-bas, à Bamiyân, et qu’il a découverte à Dembéni. » La ville de Bamiyân, tristement connue pour la destruction par le talibans de deux immenses bouddhas.
L’Afghanistan est au confluent des routes nord et sud de la soie, « la seule image connue du phare d’Alexandrie y a été découverte, et la céramique trouvée à Dembéni ou le céladon chinois se retrouvent sur toute la route maritime. » Le nom même de Zanzibar viendrait d’Aise, « c’est la côte des Zendjs, mot tiré de gingembre. »
Similitudes entre Mayotte et la Perse
Les perles découvertes à Acoua arrivent en droite ligne maritime des austronésiens, et le cristal de roche, plus proche, de Madagascar, « Mayotte est le petit doigt de Madagascar, proche tant par la végétation que par la culture. C’est un satellite de Madagascar. »
Les problématiques des 4 empires en présence, Romain, Parthe, Kushan et Chinois, sont les mêmes qu’aujourd’hui, « il faut s’imposer commercialement ». Les Perses (actuellement l’Iran) au VIème siècle conquièrent au delà de la région puisqu’ils s’étendent jusqu’en Chine, « le mot shimaore ‘bass’ signifie ‘stop’ aussi en Perse, et ‘mesa’ table. Les chapeaux de prière (kofia) sont comparables ».
Mais il finissent par perdre contre les Arabes, et la région s’islamise à la période de l’esclavage : « On ne pouvait choisir de esclaves musulmans, donc on islamise les populations de la côte africaine pour qu’ils choisissent des esclaves à l’intérieur du pays. » Comme ceux de Mayotte, ils sont envoyés vers Bagdad, « où ils intègrent le pays des Zendjs. On retrouve ainsi les Afro-iraniens, ou des Zendjs peints à la barre des bateaux, ou comme 1er samouraï étranger.
Mayotte confrontée depuis des siècles à la mondialisation
La présence des européens et des français est expliquée par les connaissances historiques confortées par les découvertes archéologiques. La prise de Constantinople, en 1453, prive les européens d’une route vers l’Asie, qui décident donc, Portugais en tête, de contourner l’Afrique par le sud. Des européens qui vont s’opposer pour dominer le canal du Mozambique, « ce qui explique la découverte des canons du ‘Ruby’. »
En 1841, c’est une île de Mayotte peu peuplée, « en lien avec les razzias d’esclaves vers l’Inde, la Chine ou l’Indonésie », que le sultan Andriantsouli vend au commandant Passot pour mille piastres, « un sac d’or ».
Mayotte est donc au centre d’enjeux, au carrefour de nombreux apports, « l’île prend aujourd’hui tous les défauts et les qualités de la mondialisation, mais finalement, comme elle l’a toujours fait. Les objets découverts sont essentiellement importés, peu sont fabriqués localement. Nous n’avons d’ailleurs jamais retrouvé d’atelier de céramique ici. Les habitants de l’île ne sont donc jamais restés tournés sur eux-mêmes, mais toujours vers l’extérieur. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte