« Quand les jeunes nous disent , ‘je suis mieux en prison que dehors’, c’est qu’il y a un problème ! », lance Saïd-Omar Oili, le président de l’Intercommunalité de Petite Terre, et maire de Dzaoudzi. Une réflexion qui n’est pas complètement liée au confort qu’offre Majicavo au regard de ses sœurs ultramarines ou métropolitaines, mais qui fait référence à un cadre qui manque à cette jeunesse en errance.
Les Petits-Terriens se prennent de plein fouet une délinquance juvénile à laquelle ils n’étaient pas habitués. Réputée plus tranquille que l’autre côte, ses habitants commencent à réfléchir avant de sortir le soir. Si les cambriolages ont diminué, les violences physiques ont augmenté de 16% à Pamandzi de 2015 à 2016 et de 27% à Dzaoudzi, et les atteintes aux biens de 27% dans la première, alors qu’elles ont diminué de 22% dans la seconde commune. L’agression du n°2 de la gendarmerie a été l’accélérateur d’une prise de conscience.
Au mois de décembre 2016 était donc convoqué un Conseil Intercommunal de Sécurité et de Prévention de la Délinquance (CISPD), un espèce de comité de pilotage de la stratégie à mettre en œuvre pour lutter contre la délinquance. Ils ont pour mérite de faire asseoir autour d’une même table le préfet, le procureur, les représentants de toutes les forces de l’ordre, de l’Education nationale, des collectivités, des associations, etc. pour trouver une stratégie commune. Mais comme inconvénient de proposer des mesures souvent peu adaptées au territoire, et dont l’application est peu surveillée.
La manière de sanctionner vaut souvent mieux que la sanction
Pour illustrer le décalage entre les mesures proposées par le droit commun et la culture locale, Saïd Omar Oili prenait l’exemple du chien, « considéré comme un animal impur ici », mais dont les hordes dressés à attaquer effraient les habitants. Un jeune qui commençait à s’adonner à cette pratique a été sermonné par son père qui lui a demandé de tuer le chien, « une association a déposé plainte, le père a été condamné. » Selon l’archéologue Mickael Rakotozonia, les chiens à Mayotte, « des ‘yellows dog », étaient importés pour être mangés. « Depuis, personne ne dit plus rien, et nous avons des meutes. La réponse apportée n’a rien de commun avec notre société », critique le maire de Dzaoudzi. L’exercice de l’autorité parental pour remettre ce chien à une association, aurait sans doute été un juste milieu acceptable par tous.
Il semble que les choses soient en passe de changer au regard du diagnostic posé en Petite Terre : « Nous n’arrivons pas à cerner ces jeunes », dira un représentant.
Plusieurs raisons à cela. La première, et ce n’est pas la première fois que nous le rapportons, est liée à l’absence d’explication et de communication des mesures prises. C’est le cas pour les rappels à la loi, au cours de laquelle on convoque le jeune pour lui rappeler ses devoirs. « Sur une centaine de jeunes interpellés lors du couvre-feu mis en place sur les deux communes, nous effectuons 50 à 60 rappels à la loi », nous explique le préfet Frédéric Veau. Mais selon un participant, la mesure doit garder sa « solennité » pour fonctionner : « Il doit se faire en présence du maire si on veut marquer le jeune, et communiquer auprès de la population ensuite. »
Comment rêver quand on a faim ?
Ensuite, les tentatives pour attirer les jeunes vers les clubs de sport ou les associations sont restés vaines : « Nous n’arrivons pas à les intéresser, à les impliquer, c’est un rejet de la société en bloc », explique Adrien Michon, chef de projets pour l’interco, et qui travaille avec les jeunes de Petite Terre depuis plusieurs années.
Faut-il une étude sociologique des phénomènes de bandes à Mayotte ? Comme cela a été demandé. Ou se cogner à la réalité, « ces jeunes n’ont pas de papier, doivent se battre pour trouver de la nourriture, ils sont sous dépendance et n’ont bien souvent plus de parents, comment réfléchir ou rêver dans cette situation ? Ne serions-nous pas dans le même état ? », appuyait Saïd Omar Oili, en relatant la perdition d’une petite fille de 10 ans, qui a frappé à sa porte avec ses jeunes frères, et qui, faute d’aide, se prostituait quelques années plus tard pour survivre.
Si la compréhension de la situation est primordiale, « sinon, aucune solution ne marchera », déclarait-il, il évoque une première mesure à mettre en place, « il faut répertorier ces gamins ». Une action annoncée par Issa Issa Abdou, 4ème Vice-président du Département en charge de l’action sociale, « mais il n’y a pas d’Aide sociale à l’enfance en Petite Terre ! », s’exclame Adrien Michon, c’est à dire qu’aucune prise en charge, aucune prévention n’y est proposée par le Département.
Du personnel qualifié avant tout
21 mesures ont été approuvées et déclinées depuis plusieurs mois, tenant compte cette fois des spécificités locales : « Mobiliser les élus, imams et foundis pour une meilleure occupation de l’espace public, inviter les parents à surveiller les enfants, conditionner le versement des subventions municipales aux association qui prennent en charge physiquement les jeunes délinquants », avec une large part donnée à la professionnalisation des intervenants : « Remplacer ou compléter des policiers défaillants par des personnels qualifiés, inciter les animateurs communaux et associatifs à changer leurs postures de travail pour qu’ils puissent intervenir auprès des publics déviants. »
C’est sur ce point qu’insiste Adrien Michon, « il faut des moniteurs éducateurs qui fassent sortir les jeunes de leurs addictions. » Une promotion doit sortir de l’IRTS, l’Institut Régional du Travail Social, implanté depuis l’année dernière seulement à Mayotte.
« Majicavo n’est pas extensible, il faut trouver des solutions appropriées pour ces jeunes », relevait le maire de Pamandzi, alors que le préfet synthétisait la séance du jour, « nous avons besoin de comprendre les raisons de cette délinquance juvénile. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte