L'exception culturelle mahoraise en matière de délinquance : entre règlements de compte et tolérance

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Plusieurs habitants de Chiconi membre du collectif, venu en soutien
Plusieurs habitants de Chiconi membres du collectif, venus en soutien

Le schéma devient hélas presque classique à Mayotte : une bande de jeunes délinquants cambriole, caillasse, et en réponse, une large frange de la population se concerte, et fonce dans le tas pour se faire justice. Tout ce petit monde se retrouve au tribunal, les voleurs sur le banc de l’accusation, et les adultes, généralement insérés dans la société, sur ceux de la défense, se font remonter les bretelles par un procureur qui leur fait comprendre qu’ils n’offrent pas un modèle de société viable.

Les faits remontent à la nuit du 3 au 4 mars 2017. La veille, Abdou* s’était rendu dans une maison appartenant à sa famille, inoccupée depuis plusieurs années. Il s’aperçoit qu’elle est squattée, entre et se fait caillasser, « ils étaient 5 ou 6 ». Le soir même, la fenêtre de son domicile vole en éclat, et son téléphone professionnel est volé. Il part déposer plainte à la gendarmerie.

Mais le soir, avec d’autres habitants, il retrouve un des jeunes prés du collège de Chiconi, le fait monter vers 23h dans sa voiture, où il avoue les faits, et livre les noms de ses complices. Ils les retrouvent, se rendent à la plage de Sohoa à un kilomètre de là, trois d’entre eux s’enfuient, et font entrer les 2 restant dans un container où sont disposé un matelas et une chaise. Les deux enfants de moins de 15 ans y resteront jusqu’à 9h le lendemain matin.

Risque d’erreur sur le coupableChiconi insécurité tue Mayotte

C’est pour violences, enlèvement et séquestration, le tout commis en réunion, que trois hommes se retrouvent donc à la barre. L’un est informaticien à La Poste, l’autre étudiant, comorien en situation régulière, le 3ème menuisier. Ils se défendent en assurant qu’ils voulaient protéger les jeunes de la vindicte populaire, un des jeunes le confirmera. Le menuisier indique qu’il prend souvent des jeunes en stage pour les former.

Deux d’entre eux avouent avoir donné une gifle aux jeunes, le 3ème, avoir utilisé une sorte de coupe-coupe, « j’avais bu deux bières », avouera-t-il, en s’excusant pour ce qu’il a fait.

Le ras le bol aura encore une fois amené des habitants à commettre une infraction, « vous auriez pu vous tromper de personne tout comme il y existe des erreurs judiciaires », fait remarquer le président de l’audience, Laurent Sabatier. Qui prend l’exemple d’un père de famille qui à Pointe à Pitre en 2006, a tiré sur un jeune homme parce que sa fille venait de lui dire qu’il l’avait violée. Juste après le drame, en pleurs, elle avouera que c’était son petit ami. « Ne réagissez donc pas sous le coup de l’émotion ! »

« L’iPhone en dessous de l’humain »

Les habitants venus manifester, encadrés par la gendarmerie
Les habitants venus manifester, encadrés par la gendarmerie

Des faits « horribles », selon l’avocat des 5 jeunes, Me Simon, « cinq petits garçons arrachés de leurs familles en pleine nuit, pour recevoir des gifles et des coups dans le corps. Tout ça pour le vol d’un portable, il n’y a pas de proportionnalité. Un iPhone reste en dessous de l’humain quand même ! » Il demandait la somme de 1.000 euros pour chacun enfants en préjudice physique, et 3.000 euros comme préjudice moral.

Le procureur Camille Miansoni ne pouvait qu’enfoncer le clou : « C’est une opération qui a été menée, pas un acte isolé. On commet des atteintes physiques pour des réparations matérielles. Les enfants ont eu peur qu’on leur tire dessus. C’est la rumeur comme source d’information ! L’exception mahoraise, on aimerait que ce ne soit pas le défi à la justice en se la rendant soi-même. Il faut prendre le meilleur. » Il requérait 12 mois d’emprisonnement avec sursis pour les 2 plus impliqués, et 8 mois avec sursis pour le 3ème.

« Mayotte est un Majicavo géant »

Tee-shirt du collectif
Tee-shirt du collectif

Pour l’avocat de deux des prévenus, le désormais député Mansour Kamardine, les réquisitions sont sourdes à la situation sociale de Mayotte : « On ne peut pas accuser mes clients d’actes racistes, un seul des jeunes étant comorien. Les faits sont la preuve du ras le bol de la population, et la preuve d’un Etat défaillant. Or, avec 53% d’étrangers en situation irrégulière, les Mahorais continuent à avoir le sourire, c’est ça notre exception culturelle, cette tolérance. »

Il relevait que les nombreux cambriolages de son cabinet n’ont pas été solutionnés, « pas étonnant quand un procureur écrit ‘relâchez les étrangers en situation irrégulière, on ne peut pas les prendre en charge’ ».

Me Ibrahim, du même cabinet utilisait une image frappante, « Mayotte est un Majicavo géant, des barreaux partout aux fenêtres ! Et on comprend l’exaspération de la population qui ne dépose plus plainte, 800 plaintes sont classées sans suite ! » Il plaidait la dispense de peines, et, dans le cas d’une issue contraire, la non-inscription au casier judiciaire.

Le 3ème avocat Me Nadjim Ahamada, montait le ton, résumant ce qu’il considère être un monde à l’envers : « Nous sommes dans un royaume de voyous qui terrorisent Chiconi, des nuits d’horreur, des hordes de chiens. Nous utilisons l’ordonnance de 45 pour les protéger au lieu de les envoyer à Majicavo. Le jeune soit disant frappé a eu zéro jours d’ITT. Ici, même les distributeurs de boissons sont sous les barreaux ! »

Le délibéré sera rendu le 12 juillet prochain.

A.P-L.
Le Journal de Mayotte

* Prénoms fictifs

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