Pour évoquer l’Ecole du civisme qu’il a créée, Chaharoumani Chamassi, le capitaine Chamassi, utilise les mots simples de celui qui vit au quotidien les douleurs de son île, en souffre dans sa chair, et qui a décidé d’en faire une affaire personnelle. Il n’attend rien de personne, et qui l’aime le suive. Et ils sont nombreux.
En témoignent ces dons de 16 ordinateurs, autant de bureaux, cahiers, crayons, qu’utilisent les jeunes de l’Ecole baptisée Frédéric d’Achery. Une école un peu particulière puisqu’elle ouvre le soir, grâce à des enseignants bénévoles, dont il faut saluer l’engagement.
Une école qui fonctionne selon la « méthode bantoue », chère à Chamassi : « Les enfants qui vont à l’école de la République ont souvent des devoirs à faire le soir. Mais quand ils arrivent chez eux, ils doivent faire les courses, aller chercher les herbes pour les zébus, ou de s’occuper des petits frères. C’est en se réveillant pour aller à l’école le lendemain qu’ils réalisent qu’ils n’ont pas fait leurs devoirs. Et leur maman renchérit en leur disant, ‘il faut aller à l’école, tu seras quelqu’un’ ». C’est l’échec assuré.
L’objectif de l’Ecole Frédéric d’Achery, ancien maire de Koungou dont la famille était présente, est de donner à ces enfants un niveau CM2 : « Ce sont les mêmes depuis de l’année, ils vont du primaire au collège, et on revient avec eux sur les bases de la grammaire, de l’orthographe, on apprend l’Histoire de Mayotte dans sa région, Comores, Madagascar, Réunion, pour connaître l’autre. »
« L’Etat n’enfante pas »
Nous avons suivi ces enfants, vêtus de chasubles bleu-blanc-rouge, depuis le début de l’année dans leur salle de la maison de Convalescence à Mamoudzou, prêté à l’association « 2 mains pour les enfants » qui a donné naissance à l’Ecole. Les mêmes 16 jeunes dont les parents sont contactés à la moindre absence. Au départ, ça se moquait les uns des autres, ils étaient en fait un peu perdus, « les enfants ont aussi besoin qu’on s’occupe d’eux », soulignait Nathalie Costantini. Puis, ils ont appris les tables, les additions compliquées, et sont tous unanimes : si les maths ne sont pas la matière préférée d’une bonne moitié de la classe, ils se sont tous améliorés, « on aime bien aller à l’école maintenant », assurent-ils.
Ils chanteront leur journée, en shimaoré et en français, et glisseront les messages made by Chamassi : « l’Etat n’enfante pas, ce sont nos parents qui enfantent et qui doivent s’occuper de nous. »
La vice-recteur faisait son mea culpa : « Je sais que beaucoup d’enfants restent éloignés de la scolarité. Signalez-les nous. Nous avons accueilli 1.500 élèves en cours d’année que nous avons inscrits dans nos écoles. Mais si on peut encore intégrer les 11-12 ans, il ne faut pas leurrer les 14-15 ans. Nous mettons en place des sessions d’information et d’orientation. 90 places sont ainsi disponibles à Doujani de préparation aux pré-qualifications. » Les problèmes de scolarité étaient donc largement abordés, aussi par le conseiller départemental Issa Issa Abdou, « vous êtes un maillon de la chaîne de suivi de ces enfants, nous mettons en place des maisons éducatives pour pallier à ces difficultés. » Aucun représentant de la préfecture n’était présent.
« La délinquance n’a pas de nationalité »
La situation à combattre est résumée par Chamassi : « Malgré le courage constant des forces de l’ordre, dans certains quartiers se développe le sentiment d’impunité », notamment depuis 2011, année où « on a vu des centaines de jeunes s’essayer à la guérilla urbaine avec succès, certains élus locaux déresponsabilisés, la perte d’influence des anciens garants de l’autorité, cadis, fundis, bouénis, auprès des jeunes, fragilise le climat social de ces quartiers, qui peuvent voir éclater une explosion de violence sans rapport avec l’objet initial du mécontentement. Le tissu associatif doit mener des actions de prévention, de sensibilisation contre toute forme de violence. »
Face à cette délinquance, l’éducation est un des remparts : « Il nous faut un esprit d’entraide et de solidarité. La délinquance n’a pas de nationalité, un enfant reste un enfant, s’il est mal éduqué nous en récolterons tous les conséquences, bien éduqué nous récolterons tous les fruits de son éducation. Dans l’intérêt de nous tous, l’éducation doit être une éducation participative venant de chacun de nous. Mayotte est une zone de mixité sociale, il faut des plans d’actions concrets pour aider nos enfants. »
Des moments forts
Face à la réussite du projet, Nathalie Costantini ne demandait qu’à l’appuyer en proposant la mise à disposition d’établissements scolaires, ou par un accompagnement éducatif. L’école n’a reçu que 5.000 euros du FIPD (Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance) grâce à l’appui de la CRESS (Chambre Régionale de l’Economie sociale et solidaire), et n’a donc pas pu recruter un directeur qui permettrait d’asseoir la méthode, et de l’étendre à d’autres villages que Mamoudzou où elle est implantée.
Une famille Chamassi pleine de sensibilité, pour preuve quand l’un des fils, en terminale, a évoqué la mémoire de son professeur de sciences politiques, « un père spirituel pour moi, qui nous a quittés après m’avoir expliqué n’avoir que quelques mois à vivre », en demandant une minute de silence, l’émotion gagnait toute l’assistance. Il avait auparavant proposé avec son frère un spectacle de break danse, alors qu’un autre frère s’adonnait à une salsa endiablée ensuite. Une famille de talents. Une famille de colibris.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte