C’est une ONG internationale, connue et respectée, qui n’est pas habituée à donner des coups d’épées dans l’eau. Quand Sea Shepherd se lance dans une action, elle avance méthodiquement, avec constance et dans la durée. Mayotte pourrait bientôt le comprendre. Le 30 juin dernier, à la surprise générale, l’ONG lançait l’«opération Nyamba» après un massacre de tortues constaté sur une plage mahoraise. L’idée était alors de mettre en place des patrouilles pour empêcher le braconnage, sur des plages tristement réputées du département.
Quarante jours plus tard, Sea Shepherd s’apprête à tirer un premier bilan. L’ONG revendique 72 patrouilles qui ont sécurisé environ 200 montées de tortues. «Depuis la fin juin, c’est toutes les nuits que l’équipe, répartie en plusieurs groupes, surveille les pontes, moment où les tortues sont les plus vulnérables», explique l’organisation.
«Nous n’avons pas d’antenne locale à Mayotte et cette mission ‘Nyamba’ est la toute première qu’on réalise sur place», précise Lamya Essemlali présidente de Sea Shepherd France. «C’est d’abord une professeur de Mayotte qui est venue nous expliquer la situation sur place et en particulier l’ampleur du braconnage. Et dans la foulée, une première équipe de bénévoles s’est mise en place, une équipe qui ne cesse de grossir.»
Un climat plus apaisé
Ces patrouilles se sont réparties entre Petite et Grande Terre même si les zones couvertes en Petite Terre ont été les plus nombreuses. «Nous ne communiquons volontairement pas sur les plages où nous nous rendons. De cette façon, notre présence joue un rôle dissuasif».
Ces actions nocturnes se poursuivent et heureusement, le climat dans lequel elles se déroulent est bien plus calme qu’au début de l’opération. Le 7 juillet dernier, un véhicule de l’ONG avait été incendié après que des patrouilleurs aient été véritablement pris en chasse par des braconniers.
«Si notre présence semble être dissuasive sur les plages que nous arrivons à couvrir, nos volontaires se retrouvent étonnamment seuls, avec des gardiens chargés de la protection des tortues le plus souvent absents au poste. Un manque criant de motivation pour les uns et un manque de moyens de protection pour les autres, qui ont pour résultat de laisser les tortues censées être protégées livrées à elles-mêmes et aux machettes de leurs bourreaux», relate l’ONG.
Des gardes pas toujours au rendez-vous
Concernant les gardiens, le premier problème est l’absentéisme. Lorsque 4 gardes doivent constituer une équipe mais qu’ils ne sont finalement que 2 sur le terrain, difficile de faire le poids face à des braconniers qui sont armés. Les gardes, eux, n’ont pas l’autorisation d’être en possession d’armes, y compris de chombo.
«Il ne faut pas mettre tous les gardes dans le même panier», tient à préciser Lamya Essemlali. «La mauvaise volonté de certains a des conséquences sur le travail des plus motivés».
Malheureusement, il arrive aussi que certains gardes camouflent des actes de braconnage sur des lieux qu’ils sont censés avoir surveillé. En enterrant au petit matin des carcasses de tortues dépecées dans la nuit, ils cachent en même temps un massacre nocturne et leur absence sur leur lieu de travail.
Impliquer les élus
Pour Sea Shepherd, l’objectif est donc de jouer à Mayotte, le rôle d’institutions et de professionnels auxquels on reproche depuis des années de ne pas mener à bien leurs missions de protection de la nature.
La première équipe de bénévoles est appelée à grossir rapidement et l’objectif de l’ONG est qu’un grand nombre de Mahorais s’investissent, pour prendre en main localement et durablement, les questions de protection de nos trésors naturels.
C’est d’ailleurs un des objectifs de l’envoyé spécial de l’ONG qui va passer plusieurs semaines à Mayotte. Il sera également chargé d’établir un premier contact avec les élus locaux, prêts à s’investir pour relever le défi de la protection de nos richesses terrestres et marines.
Appuyer les volontés locales
«Pour l’instant, on fait ce qu’on peut mais on est absolument ouverts à tous ce que les élus et les bénévoles de Mayotte pourront apporter, pour ensuite les appuyer dans leurs démarches», précise Lamya Essemlali. «Clairement, on est en sous-effectif par rapport à tout ce qu’il faudrait faire et la crainte, c’est que le braconnage se soit déplacé sur des plages où nous ne sommes pas encore présents».
En attendant, depuis quelques semaines, l’équipe de Sea Shepherd de Mayotte peut compter sur une alliée inattendue et extrêmement efficace. Une chienne des rues recueillie par l’équipe et baptisée «Nyamba» détecte la moindre présence sur les plages… y compris de ses congénères chiens errants qui, eux aussi, représentent un danger pour les tortues qui viennent pondre.
PM
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