Repenser l’école de la République à Mayotte

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Pauline Gendry, directrice des archives départementales et le DGA de Mamoudzou
Pauline Gendry, directrice des archives départementales et le DGA de Mamoudzou
Pauline Gendry, directrice des archives départementales et le DGA de Mamoudzou

« L’école est un sujet par nature passionnel, un vecteur par essence d’égalité, le domaine qui mobilise le plus les Mahorais ». Dans son propos liminaire, le président du Conseil économique social et environnemental de Mayotte (CESEM) Abdou Dahalani pose l’importance du sujet évoqué ce mardi à la mairie de Mamoudzou. Alors que « l’égalité des chances est un droit constitutionnel », comment se fait-il que le budget consacré à chaque élève à Mayotte soit « inférieur à La Réunion, la Moselle ou Paris » ? Il faut pour cela remonter aux origines de l’école publique à Mayotte. Comprendre, pour, à terme, réinventer l’enseignement républicain du 101e département. « Le système éducatif doit fondamentalement muter, c’est un préalable indispensable sans lequel il sera impossible de parler de réussite éducative. »

Une école toute jeune

Tout d’abord, l’école républicaine à Mayotte est jeune. C’est même la plus jeune de France. Lors de la cession de Mayotte à la France en 1841, le département ne compte pas d’autres structures que les écoles coraniques. La première école européenne est créée à Dzaoudzi par des religieux en 1845. Dix ans plus tard, elle ne compte que 3 élèves. Lors de sa disparition en 1883, elle en compte 14. Des soeurs créent une autre école congrégationnelle, pour les filles, en 1846. Mais les deux congrégations ne rencontreront pas le succès que pouvaient avoir les religieux à Madagascar, colonie voisine. D’autant que pour l’administration coloniale, Mayotte dépendant du même budget que Nosy Be. Avec l’effondrement de l’industrie sucrière, il apparaissait moins rentable d’y investir. Le toute première école laïque apparaît en 1860 et disparait 9 ans plus tard. Elle n’aura guère accueilli plus d’une quarantaine d’élèves en même temps. L’école laïque prendre de l’importance après la loi sur la laïcité. Mais pendant l’entre-deux guerres, le territoire ne compte toujours que 3 écoles, sur Petite Terre et Mamoudzou. Une seule, dans le sud, serait apparue en 1924 à M’ramadoudou. Les archives ne la mentionnent qu’à compter de 1940.

Après l’indépendance des Comores, tout s’accélère

En 1960, la Communauté européenne dénonce le faible taux de scolarisation (13%) de Mayotte.
Le bouleversement survient en 1976 avec l ‘indépendance des Comores et une politique de scolarisation massive qui voit jusqu’à 53% des enfants aller à l’école. Les filles en sont toujours majoritairement privées. Les années 1980 et 1990 voient se multiplier les collèges et lycées, et en 1993, les premières écoles maternelles publiques voient le jour. Une politique de construction scolaire qui s’est accéléré en même temps que l’immigration, conduisant à la situation actuelle. 10 000 élèves à Kaweni. Des établissements à près de 2000 élèves. Des classes qui fonctionnent en rotation faute de locaux suffisants.

Pour illustrer cette démographie, la commune de Mamoudzou comptait en 2014 un peu plus de  14 500 élèves. Ils étaient 400 de plus l’année suivante, pour atteindre 15 600 en 2017. « Chaque année, 600 enfants ne trouvent pas de place dans nos écoles » déplore Mohamed Moindjie, adjoint au maire. Chaque année, la ville préfecture dépensait 800 000€ en petites fournitures scolaires (crayons etc.). Elle a dû arrêter.

Pas de santé scolaire en primaire à Mayotte

Anchya Bamana, maire de Sada
Anchya Bamana, maire de Sada

Pour Anchya Bamana, maire de Sada, « La Préfecture n’attend qu’une chose, avoir des élus qui savent ce qu’ils veulent ». Elle dénonce une politique du chiffre ainsi que les rythmes scolaires. « Une catastrophe » selon elle. Un rapport qu’elle présente préconise la construction d’un préau ou d’un faré pour la collation des élèves. « A Sada, il n’y aura pas de préau, il y aura un vrai réfectoire ». Autre point grinçant pour l’édile, l’absence de santé scolaire à Mayotte dans le premier degré. « Un enfant qui n’entend pas, ou qui ne voit pas, c’est une scolarité gâchée à vie ».
C’est dire si les retards qu’accuse le département dans la prise en charge de ses élèves, ce, depuis plus d’un siècle, ont des conséquences au quotidien.
C’est la raison d’être des deux études complémentaires menées par les archives départementale, et le CESEM. Pour comprendre la problématique, et pour y apporter des propositions. Associer les parents, reconnaître la richesse que constitue le bilinguisme de la plupart des élèves, et l’utiliser comme un atout éducatif, investir massivement dans les équipements, développer le sport ou encore structurer enseignement traditionnel et confessionnel pour favoriser les liens intergénérationnels, sont autant de pistes avancées par le CESEM. Afin que l’école de Mayotte cesse de courir après son retard, et se réinvente, conformément à ses spécificités, tout en garantissant l’égalité des chances avec le reste de la République.

Des évolutions sont déjà en cours, comme le retour du shimaoré dans les écoles, jadis interdit, ou l’adaptation des cours d’histoire à l’histoire locale (ce que beaucoup d’enseignants faisaient déjà plus ou moins officieusement). Beaucoup de chemin reste à faire, mais les pistes de réflexion ont le mérite d’exister.  Charge aux élus de prendre ces propositions à bras-le-corps. « Tant qu’on sera divisés, on en rester là » conclut Anchya Bamana.

Reste que sur un sujet si vaste, une seule journée ne pouvait suffire à en faire le tour. Pauline Gendry, directrice des archives départementales, entrevoit déjà d’autres rendez-vous pour approfondir le sujet, et entendre les propositions des habitants qui y participeront.

Y.D.

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