La question de l’île comorienne de Mayotte est passée au peigne fin par l’universitaire Mahorais Thomas M’Saïdïe (Lire Thomas M’SAÏDIÉ – Entretien sur La question de l’île comorienne de Mayotte). Auteur de nombreux écrits, il est celui qui a jeté les bases du toilettage institutionnel de Mayotte par exemple.
On sait déjà que dans ce conflit qui oppose l’Union des Comores à la France, deux notions contraires sont mises en avant : celle de l’autodétermination des peuples, et celle de l’intégrité territoriale. En clair, les Mahorais pouvaient-ils choisir de rester rattachés à la France en 1975, ou bien devaient-ils rester à l’intérieur des frontières Comoriennes, si tant est qu’elles existassent ? C’est ce conflit que veut trancher Thomas M’saïdïé.
Si le doute persiste, c’est que la résolution 1514 du 14 décembre 1960 sur l’indépendance des pays et peuples coloniaux, intègre ces deux notions, « s’agissant de Mayotte, deux principes reconnus par le droit international sont en conflit ».
« Comment régler ce paradoxe ? », s’interroge-t-il. En prenant comme référence le texte d’application de cette résolution de 1960, qui met en avant le droit des peuples à la libre détermination, donc à décider d’eux-mêmes, « et passe sous silence la question de l’intégrité territoriale ». Qu’une jurisprudence de la Cour Internationale de Justice viendrait abonder, « le droit des peuples à l’autodétermination s’impose à tout le monde, un droit opposable ‘erga omnes’ ». L’Etat français et l’Etat comorien devraient donc régler leur différend en respectant ce droit.
La condamnation de l’ONU à relativiser
Dans ce cas, on peut se demander pourquoi et sur quels fondements, la France a été condamnée par l’ONU ? Thomas M’Saïdïe explique que la France n’a été condamnée qu’une seule fois par l’ONU pour sa présence à Mayotte, « par une résolution du 21 octobre 1976 ». Or, contrairement au Conseil de Sécurité des Nations Unies, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies « n’ont aucune portée contraignante en droit international », les Etats sont libres de l’appliquer ou non. De plus, ces résolutions n’apparaitraient pas dans la Constitution française… ni dans la Constitution comorienne, selon l’universitaire.
Si la question n’est pas juridique, elle demeure politique, voire « psychologique » pour le prof de droit : « Le mot ‘Mayotte’ » emporte des effets fédérateurs et anesthésiants, on oublie tous les problèmes auxquels l’Etat comorien est confronté à l’intérieur de son territoire ». A Mayotte, on retrouve le même syndrome, provoqué notamment par une « peur volontairement entretenue par l’Etat français », renouvelé avec « la suppression supposée/programmée du visa Balladur ».
Un comportement autour de la signature de la feuille de route qu’il condamne : « Comment peut-on envisager une seule seconde d’engager l’avenir de toute une population sans porter à sa connaissance des informations aussi fondamentales ? La diplomatie française manque parfois de diplomatie. »
29 ans de frontières communes
De ce fait, il assimile les interventions habituelles à l’ONU des dirigeants comoriens à « une danse du string », alors qu’il explique que de son côté, l’Assemblée générale des Nations Unies est passée d’un ton « comminatoire » à un ton « exhortatif, voire à une prière ». Une position qui découle aussi de l’appartenance de Mayotte à l’Europe.
Même si nous avons vu que l’intégrité des frontières issues de la décolonisation découle du droit international coutumier « non reconnu par le droit constitutionnel français », on se pose souvent la question de l’intégrité du territoire comorien, y a-t-il eu un Territoire des Comores, politique, juridique et administrative intégrant Mayotte ? Oui, répond Thomas Msaïdïé. Mais pendant 29 ans seulement. Avant l’arrivée de la France en1841, il n’y aurait pas eu d’entité unique. De 1841 à 1946, soit pendant 105 ans, la souveraineté était française. Ce n’est qu’après qu’une entité juridique commune à l’archipel des Comores se créée, jusqu’à l’accession des Comores à l’indépendance en 1975.
Il dresse de nombreuses comparaisons de territoires proches géographiquement mais non administrativement : « La Réunion et l’île Maurice forment l’archipel des Mascareignes, or il n’est jamais venu à l’esprit des Mauriciens de réclamer La Réunion ». Idem sur les Antilles à la fois néerlandaises et françaises.
Les raisons du flou
Autre argument en faveur du respect du choix des Mahorais, la formulation du préambule au référendum de 1974, qui dit : « Les populations des Comores seront consultées ». Voulue par le ministre Pierre Messmer, « Mayotte est française depuis 130 ans, si vous ne souhaitez pas vous séparer de la France, la France ne souhaite pas se séparer de vous », et mise en musique par la suite par Bernard Stasi, alors ministre des DOM, ce pluriel « les populations » a permis de légitimer le décompte île par île. Rajoutons que l’Assemblée nationale avait voulu le singulier, que le Sénat a gommé pour envisager le pluriel des populations.
On peut se demander pourquoi au lieu des tergiversations auxquelles on assiste, le débat juridique n’est pas tranché une bonne fois pour toute entre les deux pays. Si la France entretient le flou, « la peur », est-ce pour ménager les îles voisines et les hydrocarbures en bordure de la Zone Economique Exclusive ? Ou pour différer des investissements auxquels Mayotte devrait prétendre, et dont les revendications sont payées de bons mots rassurants sur l’appartenance de l’île à la France ? Ce flou nuit aux échanges de coopération régionale, car du côté comorien, « cela reviendrait implicitement à admettre que Mayotte est française »
Un conflit non armé mais qui fait des morts chaque année dans le bras de mer qui nous sépare de l’union des Comores, et qui faute d’être fermement tranché, enlise l’ensemble de la région dans le sous-développement.
Anne Perzo-Lafond
lejournaldemayotte.com
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